Notre étude représente une analyse de la base légale et de l’activité du Conseil National pour la Recherche des Archives de la Securitate[1] en mettant l’accent sur les pratiques institutionnelles du Collège, l’organisme de direction de l’institution. Pour la rédaction du présent article, nous avons utilisé des informations de presse et des entretiens avec nombreuses personnes directement impliquées dans cette question. Nous avons également utilisé notre propre expérience en tant qu’investigateur, puis de chercheur au Conseil, pendant la période septembre 2000-avril 2001.
Pour ce qui suit, nous allons donc investiguer le cas roumain, un cas qui tient, tout aussi comme la démocratie roumaine, de l’échec. Mais, même s’il s’agit d’un échec, étant donné que la politique est l’art du possible, les choses pouvaient se passer autrement. C’est pour cette raison que nous avons essayé d’en faire une analyse de ses causes.
Les antécédents de la loi
A partir de 1989, une des revendications des organisations de la société civile a été l’interdiction faite aux anciens membres de la nomenklatura et de son appareil répressif, la Securitate, d’accéder au pouvoir. Ainsi, le premier épisode d’une lutte à la fois idéologique et politique se consomme pendant le changement de régime, le 12 janvier 1990, quand des personnes qui protestaient contre les réflexes totalitaires du nouveau pouvoir instauré, le Front du Salut National, demandent l’interdiction du parti communiste et l’application de la peine de mort pour les responsables des crimes commis pendant le régime communiste. Le même jour, Ion Iliescu, ancien membre de la nomenklatura et président du Front du Salut, arrivait au lieu de la démonstration et communiquait à la télévision qu’il avait conclu avec les manifestants un décret résumant les deux points indiqués auparavant. Le décret n’a jamais été appliqué, les revendicateurs étant appelés ultérieurement des « esprits échauffés » et des « hooligans ». Le nouveau régime s’inscrivant par son langage, mais aussi par ses pratiques, dans la continuation du discours du régime communiste[2].
Le deuxième épisode de cette lutte a lieu au cours de la même année 1990, juste avant les élections de mai quand, une organisation civique, La Société Timişoara, lance une « Proclamation ». Le point n° 8 de ce document proposait la limitation des droits électoraux des anciens dirigeants du Parti et de la Securitate pour une période de dix ans. La Proclamation de Timişoara a été signée par les partis « historiques », les partis traditionnels roumains de l’entre deux guerres, refondés par des survivants des prisons communistes[3], l’Union Démocrate des Magyars, et par d’autres associations civiques, l’Association des Anciens Détenus Politiques y compris. Le projet de la lustration est ainsi inscrit sur l’agenda de l’opposition politique. Mais, l’élection de Ion Iliescu et de son parti, le Front du Salut National, formé par des activistes des échelons seconds de l’ancien Parti communiste ou des alliés de la nomenklatura, ne donne pas la possibilité de le réaliser, étant donné qu’ils s’opposaient à une action qualifiée, avec un syntagme de la langue de bois, comme une « chasse aux sorcières ». A la suite des négociations au sein du Parlement, entre 1990 et 1996, l’opposition n’a réussi faire adopter qu’une loi en faveur des anciens condamnés politiques[4].
Jusqu’en 1996, le projet est repris par des personnes et des associations civiques, tant en Roumanie qu’en Exil. L’action la plus notable est un projet de l’Alliance Civique qui date d’octobre 1993 et qui s’inspire de la loi tchèque de la lustration. Il était destine au Parlement et proposait de déclarer « criminel et illégitime » le régime communiste et de considérer ses crimes comme imprescriptibles. Même s’il n’avait pas pour but la lustration, le projet n’a pas été soutenu que d’une manière déclarative par la Convention Démocratique, alliance politique dont l’Alliance Civique faisait partie.
En France, où se trouve une partie importante de l’Exil roumain, les thèmes de la lustration, du dévoilement de l’identité des membres de la Securitate et de la responsabilité juridique des personnes impliquées dans les crimes et les répressions communistes ont été constamment affirmés. Mais c’est seulement dans l’œuvre de l’écrivain Paul Goma, ancien dissident en Roumanie et militant pour les droits de l’homme en France depuis son arrivée à Paris, en novembre 1977, qu’on trouve un traitement cohérent et une articulation de tous ces trois thèmes, absents du débat du pays[5].
Le problème des crimes et des violations des droits de l’homme perpétrés par le régime communiste a continué à préoccuper certaines associations pendant que le projet était entré au débat parlementaire et même après l’entrée en vigueur de la loi. Significatif de ce point de vue le cas du projet de la Loi d’imprescriptibilité des crimes du communisme, qui a été réalisé par la Fondation Nationale de la Révolution de décembre 1989. Le projet, qui proposait de déclarer imprescriptibles « les crimes et les faits pénaux graves, d’origine totalitaire-communiste », était envoyé au président d’alors, Emil Constantinescu, pour être soutenu publiquement par son autorité. Néanmoins, il n’est jamais entré dans le débat parlementaire[6].
Le projet à la base de cette loi, a été initié par Constantin (Ticu) Dumitrescu, le président de l’Association des Anciens Détenus Politiques et, jusqu’en 2000, sénateur du Parti National Chrétien Démocrate. L’adoption de la loi est due plutôt à son engagement personnel qu’à l’appui de son parti. Jusqu’à la fin, un conflit a subsisté entre le sénateur et son parti, à propos du contenu de la loi, conflit qui se terminera par son exclusion du parti, une scission de l’Association des Anciens Détenus Politiques, dont un grand nombre de dirigeants du Parti National Paysan Chrétien Démocrate en faisaient partie, et par la proposition d’un autre projet par les anciens collègues de Dumitrescu. Il s’agit de l’initiative proposée par les députés Mihaï Gheorghiu et Radu Ghidău, qui proposait l’accès aux archives de la Securitate à travers l’institution de l’Avocat du Peuple, mais qui n’avait pas comme but la lustration.
Gabriel Andreescu suggère dans son article auparavant cité[7] que l’initiative de Mihaï Gheorghiu peut être associée à une supposée collaboration avec la Securitate. Son argumentation étant qu’au temps de l’application de la loi, le député a été invité au Conseil pour expliquer les circonstances de certaines déclarations données à la Securitate. D’après nos renseignements, il ne s’agit pas de « notes », comme l’affirme Andreescu, mais de « déclarations » données devant un officier enquêteur de la Securitate, ce qui ne permet pas de le qualifier de collaborateur de la Securitate, et cela du moins du point de vue de loi telle qu’elle a été adoptée. D’après l’article n° 5 (3) d) de la loi : « Les informations contenues dans les déclarations données pendant l’enquête par la personne retenue ou arrêtée pour des raisons politiques concernant la cause pour laquelle elle a été investiguée, jugée ou condamnée ne font pas l’objet de cette disposition (c’est nous qui soulignons, M. Stanescu) ». La disposition dont parle le texte este en fait l’article qui définit la notion de collaborateur de la Securitate. L’invitation de Mihaï Gheorghiu au Conseil est due, en fait, à une erreur d’analyse d’un des investigateurs du Conseil, et l’interprétation de Gabriel Andreescu se fonde sur une assertion irresponsable du président Gheorghe Onişoru, faite à l’occasion des auditions. Onişoru affirmait que les invités au Conseil étaient : « ceux qui avaient des dossiers de réseau, d’indicateurs »[8]. D’ailleurs, par leur projet, les deux députés ont soutenu le point de vue de la direction de leur parti, qui était alors composée par des anciens détenus politiques qui se trouvaient en désaccord avec Constantin (Ticu) Dumitrescu.
Le projet de Constantin (Ticu) Dumitrescu a été déposé au Parlement en 1993. Il s’inspirait de la loi allemande de la lustration, de 1991, et envisageait le dévoilement de la Securitate. A partir de 1994 il a été remplacé par trois projets distincts, qui visaient le dévoilement de la Securitate, la lustration et l’annulation des condamnations politiques. Seul le premier projet est devenu finalement une loi[9]. L’entrée du projet dans le débat parlementaire et aussi l’application de la loi ont tardé, pendant qu’entre les partis de la coalition au pouvoir, d’une part, et l’opposition, d’autre part, s’est réalisée une étrange entente[10].
Après l’application de la loi, plusieurs dirigeants des partis de la coalition au pouvoir ont été révélés comme des indicateurs de la Securitate, le cas le plus proéminent étant celui du président du Parti National Libéral et président du Sénat pendant la législature 1996-2000, Mircea Ionescu-Quintus, dont les connaisseurs de la politique roumaine savaient qu’en 1990 son dossier se trouvait sur le bureau du Premier ministre (à l’époque Petre Roman). De plus, juste avant les élections de 2000, quand la loi était déjà entrée en application, dix dirigeants du Parti National Paysan Chrétien Démocrate se sont retirés de la direction de leur parti, en refusant de déposer leur candidature aux élections. En guise de motivation, ils affirmaient, pour éviter les suspicions, qu’ils demandent au Conseil de vérifier leurs dossiers en priorité. En tant que membres du Parlement ils savaient que le Conseil est censé délivrer des attestations de collaboration ou de non-collaboration avec la Securitate (voir l’article n° 13 (1) c)) de la Loi no 187/1999), mais ils savaient aussi bien qu’il n’y avait pas de prévision de vérification en priorité ni à la demande, ni par l’office pour les personnes qui n’occupent pas de fonctions publiques (telles qu’elles sont définies par la loi) ou qui ne déposent pas leur candidature pour accéder au Parlement. Ce qui a fait d’ailleurs leur démarche plus suspecte[11].
La base légale de l’activité du Conseil
Par la Loi no 187 intitulée Loi d’accès au dossier personnel et de dévoilement de la Securitate en tant que police politique, entrée en vigueur le 9 décembre 1999, s’institue le Conseil National pour l’Étude des Archives de la Securitate, en tant qu’organisme indépendant sous le contrôle du Parlement[12]. Conformément au texte adopté, le rôle du Conseil est de faciliter l’accès au dossier personnel rédigé par la Securitate, de dévoiler les agents et les collaborateurs de la police politique, tout en faisant une investigation d’office et aussi à la suite d’une demande pour les personnes qui occupent des fonctions publiques, et de faciliter l’accès des chercheurs aux documents.
D’après l’article n° 1 (1) de la loi, « Tout citoyen roumain ou étranger[,] qui après 1945 a eu la citoyenneté roumaine[,] a le droit d’accès à son dossier personnel » à travers « l’étude directe » et « la délivrance des copies d’après les documents (înscrisuri) ». La dernière demande peut être satisfaite seulement si les copies « ne peuvent pas affecter d’une manière majeure une tierce personne » (article n° 13 (2)). La loi roumaine est, à ce point, plus permissive que la loi allemande, qui assure la confidentialité des donnés de la tierce personne même à la lecture du dossier.
La loi définit la « police politique » par « toutes les structures de la securitate, créées pour l’instauration et le maintien du pouvoir totalitaire-communiste, ainsi que pour la suppression ou la limitation des droits fondamentaux de l’homme. » (article n° 5 (1)) Le texte ne définit pas ces structures, laissant le problème de définition à l’appréciation du Conseil. De plus, la supposition de base de cette définition est que le législateur a refusé de considérer la Securitate par principe et dans son intégralité comme une structure répressive. Mais, la loi n’est pas non plus limitative, et étant donné que le Conseil est le seul à apprécier quelles sont les « structures répressives », rien ne l’empêche, à la suite de l’étude des dossiers concernés, d’arriver à une conclusion qui correspondra au point de vue historique qui affirme que la Securitate a été, dès son début, par son organisation interne, par ses pratiques et dans son ensemble, une structure répressive[13]. Dans son 2ème article, le décret de la constitution affirmait que « La Direction Générale de la Sécurité du Peuple a comme obligations la défense des conquêtes démocratiques et l’assurance de la sécurité interne de la République Populaire Roumaine, contre les conspirations des ennemis de l’intérieur et de l’extérieur. » Le texte ne peut pas être plus clair : la loi ne parle pas de structures répressives constituées à l’intérieur de la Securitate, mais la conçoit dans son intégralité comme une organisation répressive de type soviétique.
L’« agent » est défini par la loi comme « toute personne qui a rempli la fonction de travailleur efficient, couvert y compris, de ces organes pendant la période 1945-1989. » (article n° 5 (2)) A la différence de la définition des structures de la police politique, qui restent à être appréciées par le Conseil, qui appliquait la loi, à la première vue la définition de l’agent semble parler d’une qualité : celle d’avoir été employé de la Securitate. Mais ce n’est pas le cas non plus. Il s’agit plutôt d’une formulation héritée du projet initial. Dans l’optique de son initiateur, détenu politique pendant les années ’50, la loi ne devait pas manquer de dévoiler les agents de la Securitate qui ont travaillé d’une manière directe et qui ont supervisé les crimes et les répressions, appelés aussi « organes » ou « travailleurs » « efficients ». Cette interprétation est confirmée par l’article n° 17 (2) qui parle de la publication par le Conseil dans le Moniteur Officiel des « données d’identité, y compris les noms de conspiration et les fonctions détenues par les officiers et les sous-officiers de la securitate, actifs ou couverts, qui ont déployé des activités de police politique (c’est nous qui soulignons). »
Dans son ensemble, la volonté du législateur a été de distinguer, d’une part, entre un type d’actions spécifiques à la police politique et un type d’actions qu’on peut appeler en suivant le texte de la loi, de « sûreté nationale ». D’autre part, de distinguer entre les officiers et les sous-officiers impliqués dans le premier type d’actions et ceux impliqués dans le deuxième. Les activités appelées de « sûreté nationale » pendant la période communiste ne sont pas non plus définies par la loi, le texte stipulant que l’appréciation des dossiers des services secrets les concernant « va être faite de commun accord par le Conseil, avec les institutions qui les détiennent. En cas de divergence, la décision sera adoptée par le Conseil Suprême de la Défense du Pays. » – l’organisme dirigé par le président, qui réuni les chefs des services secrets, de l’Armée, de la Police, des Affaires Etrangères, des Finances, de l’Industrie et le Premier ministre.
Le « collaborateur » de la Securitate est défini comme toute personne qui s’est mis à la disposition, a fourni ou transmis des informations à la Securitate, qui ont porté atteinte ou qui seulement pouvaient porter atteinte aux libertés fondamentales de l’homme, ou qui a eu des compétences de décision concernant l’activité de la Securitate ou d’autres structures répressives du régime communiste. Citons le passage dans son intégralité :
3) « Collaborateur des organes de sécurité, en tant que police politique, dans le sens de la présente loi, c’est la personne qui :
a) a été rémunérée ou récompensée d’une autre manière pour l’activité déployée dans cette qualité ;
b) a été détenteur de logement clandestin (casă conspirativă) ou de maison de rencontres ;
c) a été résident de la securitate, au sens de la présente loi ;
d) toute autre personne qui a donné des informations à la securitate, à travers lesquelles on a porte atteinte, directement ou par d’autres organes, aux droits et aux libertés fondamentales de l’homme. Les informations contenues dans les déclarations données au temps de l’enquête par la personne retenue ou arrêtée pour des raisons politiques concernant la cause pour laquelle elle a été soumise à l’investigation, jugée et condamnée ne font pas l’objet de cette disposition.
(4) Collaborateur des organes de securitate, en tant que police politique, est aussi la personne qui a transmis ou a facilité la transmission des informations, des notes, des rapports ou d’autres documents, à travers lesquels l’activité ou les attitudes hostiles au régime totalitaire communiste étaient dénoncés, actions de nature à porter atteinte aux droits fondamentaux de l’homme.
(5) Les personnes qui ont eu des compétences décisionnelles, juridiques ou politiques ou qui[,] par l’abus de pouvoir politique[,] ont pris des décisions au niveau central ou local, concernant l’activité de la securitate ou concernant l’activité des autres structures de répression du régime totalitaire communiste, sont [aussi] assimilées aux collaborateurs prévus à l’alinéa no (3) (souligné dans le texte). »
Cette définition, qui suppose la même distinction entre la « Securitate » et la « Securitate en tant que police politique », a le désavantage de compliquer en pratique l’investigation du Conseil. Dans son article, Gabriel Andreescu soutient le même point de vue, mais il omet de dire que la forme finale du projet de Constantin (Ticu) Dumitrescu a été réalisée par Monica Macovei, Renate Weber et Gabriel Andreescu, tous membres de l’Association pour la Défense des Droits de l’Homme-le Comité Helsinki. Les trois, qui sont aussi des membres du Groupe pour le Dialogue Social, ont soutenu le point de vue qui distingue « la Securitate » de « la Securitate en tant que police politique », motivant que « si, par exemple, X était officier [de la Securitate] qui s’occupait des questions économiques, il ne doit pas tomber sous incidence de la loi »[14]. La motivation est erronée car, comme nous l’avons montré plus haut, la Securitate était conçue dès son début et dans son intégralité comme une police idéologique sous le contrôle de la direction du Parti. Plus particulièrement, la 2ème Direction de la Securitate, intitulée Contre-informations économiques, avait clairement des attributions de police politique. Par exemple, l’Ordre No D/00686 du 30.XII.1983, approuvé par Nicolae Ceausescu, intitulé Programme contenir les mesures qui vont être appliquées pour l’amélioration de l’activité des organes de la Securitate ayant des attributions dans le domaine de la défense de l’économie nationale et pour la délimitation de ses compétences par rapport aux organes de la Milice, stipulait comme attributions de cette Direction la prévention, la découverte et la liquidation de toutes les « tentatives » de sabotage, de diversion ou de subversion de l’économie nationale ou « d’autres faits qui peuvent mettre en péril la sécurité des objectifs industriels ». Les charges des agents de la Securitate étaient : la filature active de tous les éléments « qui peuvent se prêter » aux actions contre-révolutionnaires dans le domaine économique ; la découverte et l’interruption de « toutes les actions à caractère hostile » ou qui « sont de nature à affecter les intérêts et le prestige du pays » ; l’identification au temps des « états de choses négatives » et l’écartement « définitif » des causes et des conditions « de nature à provoquer » des dommages à l’économie nationale. Le but de l’ordre était synthétisé ainsi : la croissance quantitative et qualitative du potentiel informatif, et spécialement « sur des personnes qui – par [leurs] actions ou par [leurs] inactions – mettent en péril la sécurité de l’État », et la défense « par tous les moyens des secrets de l’État ». Par conséquent, la prise de position des trois membres des organisations civiques plus haut indiquées a représenté un appui inattendu pour les services secrets.
Dans la deuxième partie de la définition entrent les membres de la nomenklatura qui répondaient de l’activité de toutes les structures répressives du régime communiste, y compris la Securitate. Étant conçue, dès son début, comme le « bras armé du Parti », la Securitate était sous le contrôle de la direction du Parti, c’est-à-dire de ses organes centraux et locaux, l’avantage de la loi étant de répondre au problème du rapport entre le parti communiste et toutes ses structures répressives, et non pas seulement la Securitate.
La notion de « collaborateur » de la Securitate, telle qu’elle est définie par la loi, couvre toute la gamme des relations d’une personne avec cette institution. Les investigateurs du Conseil doivent traduire la terminologie utilisée par la Securitate dans les termes de la loi. Cette terminologie est d’origine soviétique et, à la différence de la Stasi qui l’a re-affinée d’une manière propre, elle est restée inchangée depuis les années ’50[15].
Les catégories de personnes visées par l’investigation couvrent une gamme large de positions publiques qui commencent avec le président de la Roumanie et s’achèvent avec les personnes qui ont obtenu le titre de « révolutionnaire » pendant le changement du régime de décembre 1989 (voir, dans ce sens, l’article n° 2 a)-z)). La loi stipule que l’investigation est faite d’office pour les fonctions publiques (article n° 3 (1)), et/ou à la suite de la demande d’une personne ayant la qualité de citoyen roumain. Par rapport à la loi allemande, les catégories stipulées à être soumises à l’investigation par la loi roumaine contiennent des personnes en plus (le cas des prêtres), et en mois (le cas des éducateurs).
La loi ne prévoit donc pas la lustration. Mais les personnes qui déposent leurs candidatures pour les fonctions stipulés par l’article n° 2 ou qui occupent déjà une des fonctions publiques indiqués, sont obligées de déposer « une déclaration authentique, sur responsabilité personnelle, conformément à la loi pénale, concernant l’appartenance ou la non-appartenance comme agent ou collaborateur aux organes de securitate, en tant que police politique. » (article n° 3 (1)) En conséquence, les personnes soumises à l’investigation qui ont été indiquées par le Collège comme agents ou collaborateurs de la Securitate, peuvent être poursuivies en justice pour fausses déclarations publiques.
Le Conseil a aussi l’obligation légale de mettre à la disposition des chercheurs « des documents et des informations complètes concernant la structure, les méthodes et les activités des organes de la securitate. » (article n° 19)
L’activité proprement dite
L’entrée en fonction du Collège, l’organisme collectif de direction du Conseil, a été retardée par le Parlement roumain jusqu’au mois de février 2000. De plus, la Commission juridique du Parlement s’est prononcée au début, d’une manière évidement illégale, contre la candidature de Horia-Roman Patapievici, candidat qui remplissait, semble-t-il, toutes les conditions stipulées par la loi. L’article n° 8 (8) affirme que :
« Les agents et les collaborateurs des organes de la securitate, définis par la présente loi, ceux des autres services secrets étrangers, des autres structures informatives internes et étrangères et des autres organisations qui ont déployé et qui déploient des activités qui sont contraires aux droits et aux libertés fondamentales de l’homme ne peuvent pas faire partie du Conseil et du Collège. Également, les personnes qui ont souffert des condamnations pour des infractions de droit commun, même si elles ont été amnistiées ou réhabilitées ne peuvent pas en faire partie. La qualité de membre du Collège du Conseil ne peut pas être accordée aux personnes qui ont fait ou qui font partie des partis politiques. »
Ensuite, le Parti Démocrate a proposé comme membres du Collège, contrairement aux stipulations de la loi, deux anciens membres du parti communiste, Andrei Pleşu et Mircea Dinescu, dans une tentative du moins de compromission, sinon du blocage de la validation du Collège et de l’application de la loi. La proposition des deux candidats et leur validation ultérieure par le Parlement, qui représente en fait une suite de violations de la loi, ont eu la valeur d’un véritable « péché originel », qui a crée une crise de légitimité pour la nouvelle institution. De plus, l’appartenance des deux candidats à l’ancien parti communiste a compromis des le début leur statut de neutralité politique. Le fait est d’autant plus grave, étant donné que la Securitate était une police idéologique, son personnel était sélectionné soigneusement de parmi les membres dévoués du parti.
Les 11 membres de l’organisme de direction du Conseil sont les suivantes :
1) Gheorghe Onişoru, le président du Conseil. Jusqu’en 1987 il a fait des études d’histoire à la Faculté d’Iaşi, puis, au début des années ’90, il a essayé de passer un DEA à École des Hautes Études en Sciences Sociales sous la direction de Wladimir Bérélowitch. En 1995 il a transformé son projet de DEA, rejeté pour des raisons de manque de nouveauté scientifique, dans une thèse, obtenant le titre de docteur en histoire de l’Université de Iaşi[16]. Il enseigne également l’histoire à l’Université de Galaţi. Onişoru a été proposé par le Parti National Libéral.
2) Mihaï Gheorghe, le vice-président du Conseil. Jusqu’en 1995 il a fait des études de droit à l’Université de Bucarest, et ensuite il a travaillé comme procureur à Bucarest et à Giurgiu. Gheorghe a été proposé par le Parti de la Démocratie Sociale de Roumanie (l’actuel Parti Social Démocrate).
3) Claudiu Secaşiu, le secrétaire du Conseil. En 1985, pendant qu’il était étudiant à la Faculté d’histoire de Bucarest, a été enquêté par la Securitate pour avoir fait partie d’un groupe d’étudiants qui a répandu des manifestes contre Ceausescu et. Ultérieurement, il a été chassé de l’Université. Entre 1985 et 1991 il a travaillé comme custode au Musé d’histoire de Braşov et, entre 1991 et 1999, comme journaliste au début, et comme documentariste ensuite, à la section roumaine de la BBC.
4) Constantin Buchet, membre du Collège. Jusqu’en 1993 il a fait des études d’histoire à l’Université de Iaşi et, depuis 1995, il a travaillé comme chercheur à l’Institut National pour la Recherche du Totalitarisme de Bucarest. Cette institution a été créée par Ion Iliescu en 1993 pour empêcher la véritable étude sur la période communiste et elle est dirigée par Radu Ciuceanu, aujourd’hui sénateur du Parti de la Grande Roumanie et, d’après ses dites devant les investigateurs du Conseil, ancien indicateur de la Securitate. Naturellement, Buchet a été proposé par le Parti de la Grande Roumanie. Egalement, il enseigne l’histoire à l’Académie d’Etudes Economiques et, depuis 1999, il est docteur en histoire. En avril 2001, Constantin Buchet a remplacé Claudiu Secaşiu au poste de secrétaire du Collège.
5) Florian Chiriţescu. Jusqu’en 1984 il a fait des études économiques. De sa biographie officielle l’information sur l’activité déployée jusqu’en 1989 manque, dans le but de cacher une carrière d’activiste du Parti communiste. Au début des années ’90 il a été un proche collaborateur de l’actuel vice-président du PSD et ministre des Transports, Miron Mitrea, pendant la période où ce dernier dirigeait le syndicat CNSRL-Frăţia. Il a été proposé par le Parti de la Démocratie Sociale de Roumanie.
6) Ladislau Csendes, membre du Collège, jusqu’en 1991 il a étudié le violon à l’Université de Musique de Bucarest. Il a été proposé par l’Union Démocrate des Magyars.
7) Mircea Dinescu, membre du Collège. Jusqu’en 1981 il a fait des études de journalisme à l’Académie du Parti communiste. Poète connu en Occident pour avoir protesté en 1989 contre la politique de Ceausescu. En décembre 1989 il était membre du Front du Salut National dirigée par Ion Iliescu, et il y restait même après le départ des autres intellectuels, comme Doïna Cornea. Entre 1990-1992 il a dirigé l’Union des Écrivains. Il a été proposé pour le poste du Conseil par le Parti Démocrate.
8) Viorel Nicolescu a fait, jusqu’en 1968, des études de philosophie à l’Université de Bucarest et, depuis 1981, il est docteur en pédagogie. Il est également le directeur adjoint de l’Institut des Sciences de l’Éducation de Bucarest et enseigne les sciences de l’éducation à l’Université de Bucarest. Il a été proposé par le Parti National Paysan Chrétien Démocrate.
9) Horia-Roman Patapievici a fait, jusqu’en 1982, des études de physique à l’Université de Bucarest et, entre 1985 et 1990, il a travaillé comme chercheur. Ecrivain et essayiste, il a été proposé par le Parti National Paysan Chrétien Démocrate.
10) Andrei Pleşu a étudié, jusqu’en 1971, l’histoire et la théorie de l’art à Bucarest et, depuis 1980, il est docteur. Professeur et chercheur, il a été, également, un des disciples du philosophe Constantin Noïca. Ministre de la Culture pendant le gouvernement Petre Roman, entre 1989 et 1991, et ministre des Affaires Etrangères, entre 1997 et 1999. Il a été proposé par le Parti Démocrate.
11) Aurel Pricu a fait, jusqu’en 1993, des études de métallurgie à l’Institut Polytechnique de Bucarest. Ensuite, il a travaillé dans une compagnie privée dirigée par les gens du Parti de la Démocratie Sociale de Roumanie. Naturellement, il a été proposé pour ce poste par ce parti[17].
Les autres institutions de l’État censées aider le Conseil à appliquer la loi, ne lui ont pas accordé l’assistance en invoquant des prétextes et en refusant de s’expliquer. C’est le cas de la Mairie de Bucarest, qui devait fournir un siège pour le Conseil. Conformément à l’article n° 11 (2) de la loi, la Mairie de Bucarest était obligée de fournir « les espaces adéquates pour l’activité du Conseil » « dans un délai de 30 jours de l’entrée en vigueur de la présente loi », prévision légale qui n’a jamais été respectée. C’est pour cette raison que, jusqu’en janvier 2001, l’activité du Conseil – institution de 250 employés à peu près – se déployait dans trois chambres du siège du Parlement. Ce n’est donc pas par hasard que le maire de Bucarest était, à partir du moi de juin 2000, un des dirigeants du Parti Démocrate, Traian Băsescu, parti qui a pratiquement saboté l’application de la loi. Mais le Collège du Conseil n’a pas utilisé, lui non plus, les moyens légaux pour obliger la Mairie de respecter la loi. Pour déployer son activité en meilleures conditions il a préféré louer un bâtiment au prix du marché, plus précisément 8 000 dollars américains par mois, soit 96 000 par an, en arrivant ainsi à dépenser une partie importante de son budget. Finalement, à la fin du mois d’août 2001 la Mairie a proposé au Conseil un siège, mais il a été estimé comme insuffisamment par le Collège[18].
A leur tour, les structures informatives – notamment le Service Roumain d’Informations, le Service d’Informations de l’Extérieur et la Direction Générale d’Information de l’Armée – ont refusé de donner au Conseil en gestion les archives de la Securitate. Conformément à l’article n° 20 (1)-(3) : « Le Collège du Conseil reçoit en gestion tous les documents concernant l’exercice des droits prévus dans la présente loi, à l’exception de ceux qui concernent la sûreté nationale, conformément à la loi. », les services secrets « étant obligés d’accorder ce droit d’accès [du Collège, jusqu’à leur rémission] et de les remettre [les documents] immédiatement au Collège du Conseil (c’est nous qui soulignons). » La motivation de ces services a été que le Conseil n’a pas un siège à lui pour déposer les archives.
Les services secrets ont refusé aussi de fournir une chambre provisoire pour les archives du Conseil, en motivant qu’elles n’aient pas d’espace ou par d’autres raisons de sûreté. Le dernier argument est bizarre. En fait, après 1990 les archives de la Securitate ont été partagées entre les structures informatives nées de la police politique communiste, qui construisaient leurs archives à partir des dossiers de la Securitate. C’est la raison pour laquelle les services secrets ne pouvaient pratiquement pas donner en gestion au Conseil un périmètre de leurs archives avant de séparer les documents datant d’avant 1989 des documents postérieurs. D’ailleurs, le fait que les archives de la Securitate soient restées d’opérations après 1989, est plein de conséquences, le seul problème qui se pose étant de savoir non pas si les services secrets post-communistes roumaines sont redevables au personnel, aux pratiques et aux structures de la Securitate, mais en quelle mesure. En tant qu’investigateur au Conseil nous avons vu des dossiers d’indicateurs (de « réseau ») de la Securitate abandonnés en 1991 et en 1993, et des dossiers de « filature individuelle » qui en 1990 continuait. De plus, pour un indicateur qui a refusé de continuer la collaboration avec le Service Roumain d’Information, en 1993 l’officier traitant recommandait de lui ouvrir un dossier de « filature » et de l’« avertir », ce qui représente une technique de l’arsenal répressive de la Securitate[19]. A ce jour, le Service d’Information de l’Extérieur et la Direction Générale d’Informations de l’Armée n’ont remis au Conseil que quelques dossiers soigneusement sélectionnés. A son tour, le Service Roumain d’Informations, le service secret interne, lui a remis des dossiers, mais seulement ceux qui ont été déjà consultés à l’occasion des investigations d’office, un nombre de dossiers des personnes ayant exercé leur droit d’accès au dossier personnel et quelques dossiers du fond « Documentation », eux aussi soigneusement sélectionnés.
Pour dépasser cette situation, Constantin (Ticu) Dumitrescu, l’initiateur de la loi, a demandé lui-même l’appui du président d’alors, Emil Constantinescu, mais sans aucun résultat. « Je l’ai prié – disait-il dans une interview – d’appeler ses gens, les deux directeurs des services secrets, et de leurs demander d’annoncer publiquement qu’ils vont livrer au CNEAS les archives, y compris leur espace et la logistique. Il me l’a vaguement promis, mais il n’a rien fait. »[20] En tant que chef du Conseil Suprême de la Défense du Pays, le Président avait tous les moyens de faire les services secrets respecter la loi. Par contre, l’ancien président a fait des gestes symboliques qui légitimaient les activités de la Securitate. Par exemple, à l’occasion de la fête nationale, le 1er décembre 2000, le président a décoré Virgil Cândea, membre de l’Académie roumaine et de la direction de la Fondation Culturelle Roumaine, institutions utilisées pour la propagande et l’influence externe de la Roumanie communiste et post-communiste, qui était indiqué par les proches du Président d’alors comme officier couvert (général) de la Securitate. D’autre part, le Collège n’a pas utilisé, cette fois ci non plus, les moyens administratifs, civils et légaux pour obliger les services secrets à respecter la loi.
Entre la validation du Collège par le Parlement et l’entrée en vigueur du Règlement d’organisation et de fonctionnement du Conseil, cinq mois se sont écoulés, même si, conformément à l’article n° 8 (7) de la loi, le Collège était obligé de le rédiger en 30 jours et le Parlement de l’approuver en autres 15 jours[21]. Si le Parlement partage avec le Collège du Conseil la responsabilité du non-respect du terme légal, la responsabilité du contenu du Règlement appartient intégralement au Conseil. Car, loin de profiter de l’occasion pour atténuer certaines imprécisions de la loi, pour stipuler des procédures claires d’investigation et d’accès aux dossiers et pour préciser les termes légaux, le Conseil a préféré rédiger un texte vague, prolixe et peu utilisable dans la pratique. D’ailleurs, le Collège a eu toujours un problème avec le respect des délais. La loi stipule par l’article n° 12 que le Conseil est obligé de répondre aux sollicitations « dans un délai de 30 jours ». Néanmoins, il arrive souvent que le Collège réponde beaucoup de temps après le terme, et seulement pour déplaire les conditions dans lesquelles le Conseil déploie son activité et le manque de coopération des autres institutions, cherchant de déplacer ainsi sa responsabilité, et parfois ne réponde jamais. Par exemple, le Collège a répondu à notre sollicitation d’accès au dossier personnel après six mois[22]. Toute cette manière de procéder a conduit à la situation que les premières personnes arrivaient à consulter leurs dossiers personnels en fin de mars 2001, une année après la validation du Conseil par le Parlement.
Conformément à la loi, le rôle du Collège est de porter un jugement sur la qualité des relations des personnes soumises à l’investigation avec les structures de la police politique. De plus, à la suite d’une demande, il peut délivrer d’attestations sur l’appartenance ou la non-appartenance et, respectivement, la collaboration ou la non-collaboration avec la Securitate (article n° 13 c)). Ses décisions peuvent être contestées d’abord au Collège et ensuite en contentieux administratif à la Cour d’Appel (article n° 14 (1)-(3)).
La première liste de collaborateurs qui a été publiée par le Collège, daté le 2 juin 2000, à l’occasion des élections pour la Mairie de Bucarest, contient une illégalité. Le communiqué indiquait six candidats comme collaborateurs de la Securitate[23]. Un d’entre eux, Marcian Bleahu, le candidat du Parti Écologiste, a été indiqué comme collaborateur de la Securitate contrairement aux normes de procédure, sans avoir été invité au Conseil pour discuter son cas et avoir la possibilité de retirer sa candidature. L’article n° 3 (3) de la loi stipule : « Les vérifications sont suspendues si la personne qui exerce une des dignités ou fonctions énumérées à l’art. n° 2 démissionne ou, d’après le cas, renonce à la candidature ou à la nomination au terme de 15 jours de la date de la communication ou de la sollicitation de ces vérifications. » De plus, le Collège n’a jamais assumé sa responsabilité.
Suite à la publication de la première liste de collaborateurs de la Securitate, le Collège a fait aussi sa première rectification. Paul Daniel Mircescu, le candidat du Parti Monarchiste, indiqué comme ayant signé un « engagement avec la Securitate, mais ultérieurement il a refusé la collaboration », a reçu de la part du Collège une attestation qui confirmait qu’il « n’a[vait] pas été collaborateur ou agent de l’ancienne Securitate et qu’il n’a[vait] pas déployé des activités spécifiques à la police politique. »[24] L’attestation lui a été délivrée pour s’en servir, étant donné que Mircescu, qui avait déposé auparavant au Bureau Électoral une déclaration de non-collaboration avec la Securitate, pouvait être accusé de fausses déclarations publiques. Mais une révision du point de vue du Collège ne peut être motivée légalement ni par cette situation, ni par les arguments pathétiques de l’ancien candidat. L’engagement est la pièce fondamentale et sûre qui atteste la relation de collaboration d’une personne avec la Securitate. La question de l’existence ou de l’inexistence des notes informatives dans les dossiers n’est pas du tout problématique. De plus, la collaboration avec la police politique est facile à établir : si l’officier traitant (« efficient ») est impliqué dans des activités spécifiques à la police politiques, son indicateur est un collaborateur de la Securitate en tant que police politique.
Pendant la vérification des candidats pour les élections locales, dans un communiqué de presse le Collège a accusé le Service Roumain d’Informations de lui avoir fourni des dossiers incomplets, de lui avoir caché certains dossiers et d’avoir fait obstruction à son activité en en lui interdisant l’accès aux archives. Le Service Roumain d’Informations a nié toutes les accusations et son communiqué cherchait à discréditer le Collège, en l’accusant d’avoir publié un texte qui n’était pas signé et en lui suggérant ainsi de renoncer à le soutenir par la suite. De plus, c’était aussi un exercice de force, le Service écrivant le nom du président du Conseil comme dans ses fichiers d’opérations, le nom au début et le prénom ensuite, suggérant qu’il peut être soumis au chantage. Le dossier par lequel la dispute avait commencé était celui du maire de Braşov, Ioan Ghişe, ancien indicateur de la Securitate auprès les étudiants étrangers ; des pièces de ce dossier étaient parvenues à la presse alors que le dossier était considéré par les services secrets « de sûreté nationale »[25]. Les membres du Collège ont trouvé, écrites sur le dossier, des indications des chefs du Service Roumain d’Informations sur les pièces à retirer de celui-ci, avant de le remettre au Conseil. Il s’avérait ainsi que les commissions mixtes le CNEAS-les services secrets n’étaient que formelles, les structures informatives imposant en fait du début leur politique sans aucune consultation préalable avec le Collège.
Par la suite, le Collège n’est jamais revenu sur la question, en refusant de se situer dans une pareille position envers les services secrets. Il s’est habitué avec la situation de facto, en renonçant à solliciter non seulement les archives dans leur intégralité, mais en abandonnant aussi son droit d’aces aux fichiers informatifs : la cartothèque, l’archive microfilmée et l’archive électronique. Cette situation n’a été reconnue publiquement qu’en octobre 2001 par Horia-Roman Patapievici, un des membres du Collège[26], et elle est confirmée par les réponses que le Collège donnait aux demandes de vérifications aux personnes publiques. Ces réponses indiquaient que le Collège ne procédait pas aux vérifications dans les archives de la Securitate, mais demandait, à travers des adresses envoyées à ses détenteurs abusifs – dont les principaux sont le Service Roumain d’Informations, le Service d’Informations de l’Extérieur et la Direction d’Information de l’Armée – de procéder aux vérifications, comme dans le cas d’une réponse donnée à une demande du quotidien Evenimentul Zilei[27]. Le Collège a renoncé ainsi à ses prérogatives légales, qui le désignent comme le seul juge de la situation des personnes soumises à l’investigation à travers l’étude directe des documents d’archives, en se transformant dans un porte-parole des communiqués des services secrets.
Pendant la campagne électorale pour les élections législatives de l’automne 2000, Mircea Dinescu, un des membres du Collège, a fait parti du staff électoral de Theodor Stolojan, le candidat aux présidentielles du Parti National Libéral, position qui est contraire au statut des membres du Conseil. Normalement, le Parlement devait le suspendre, mais, curieusement, il n’a pas réagi. Après l’investigation du Conseil, faite à l’occasion des élections législatives, Mircea Dinescu a critiqué publiquement le Conseil ; il utilisait alors des mots qui ne peuvent pas être reproduites : « Ce qui se passe au CNEAS c’est de la... » Ses collègues lui ont répondu dans le même registre, en lui disant que : « Si tout le monde te dit que tu es ivre, va t’en alors dormir ! »[28]
Avant les élections de novembre 2000, le 8 septembre, le Président du Conseil, Gheorghe Onişoru, préoccupé de finir à temps la vérification d’office, a demandé aux partis politiques d’envoyer au Conseil leurs listes de candidatures avant qu’elles ne soient déposées au Bureau Électoral Central. Cette négociation avec les partis est contraire à l’esprit et aussi à la lettre de la loi. De plus, le Conseil a fait des investigations sur les candidatures seulement à partir de ces listes qui n’avaient pas de statut officiel, les partis qui ont refusé d’en envoyer – le Parti Démocrate et le Parti de la Grande Roumanie – n’étant pas vérifiés jusqu’au jour des élections. La décision est étrange, étant donné que des listes officielles se trouvaient pendant ce temps-là au Bureau Électoral Central, institution obligée par la loi de les mettre à la disposition du Conseil. Une deuxième liste avec des les résultats des vérifications des candidats aux élections de novembre 2000 a été publiée seulement le 24 avril 2001[29].
La conséquence a été un décalage d’image entre les partis concurrents, les résultats de la vérification ayant certainement une influence sur le résultat des élections. Il est difficile de mesurer l’impact des pratiques du Collège, mais il est sur qu’elles ont pas mal influencé, d’une manière négative, les votants de la Convention Démocratique, qui polarisait jusqu’alors la population sensible à la mémoire du communisme, et, d’une manière positive, les votants du Parti de la Grande Roumanie, qui est devenu par la suite la deuxième force sur la scène politique roumaine. La même chose peut être dite sur le Parti Démocrate. D’un médiateur, le Collège du Conseil arrivait ainsi à se transformer en acteur de la vie politique roumaine.
Quand le Collège a publié la liste des premières personnes vérifiées à l’occasion des élections, il a partagé la notion de collaborateur en trois sous-catégories : « personnes qui ont déployé des activités de police politique », « personnes qui ont collaboré avec l’ancienne Securitate, mais leur activité de police politique ne peut pas être argumentée par les documents trouvés au dossier » et « personnes qui ont signé un engagement avec l’ancienne Securitate, mais ultérieurement ont refusé la collaboration ou n’ont pas fourni des informations relevantes »[30]. Le procédé est, évidement, contraire à la loi, qui ne parle que des « collaborateurs » et « agents » de la Securitate. La conséquence d’une telle décision a été que la collaboration avec la Securitate n’est plus une question de nature, mais une question de degré. De plus, étant donné que parmi les 38 personnes qui se trouvaient sur la liste publiée, il y avait seulement deux anciens employés de la Securitate, l’investigation a laissé l’impression que les actions spécifiques à police politique étaient en majorité l’œuvre des collaborateurs. Les débats télévisés de cette période se sont aussi concentrés sur l’activité des collaborateurs dévoilés, et non pas sur l’activité des officiers de la Securitate et des responsables de la nomenklatura.
Pendant les vérifications des candidatures aux élections, se posait le cas d’Ion Iliescu, susceptible d’être taxé de collaboration avec la Securitate conformément au avant-dernier paragraphe de l’article n° 5 de la loi, qui assimile une partie non-precisée de la nomenklatura aux collaborateurs de la Securitate. Il est notoire que les dirigeants de l’Union de la Jeunesse Communiste et les premiers secrétaires départementaux du Parti avaient par principe des compétences décisionnelles sur certaines actions de la Securitate. En 1956, après la révolte de la Hongrie et les mouvements étudiantes roumaines correspondantes, Ion Iliescu, qui occupait alors un poste dans la direction de la Jeunesse Communiste, a participé aux exclusions des facultés de certains étudiants qui étaient ensuite arrêtés, et au démasquement des autres (ce qui représente un type de torture psychique spécifique aux pays de « démocratie populaire »). Ultérieurement, il a été l’adjoint du premier secrétaire du département de Timişoara et le premier secrétaire du département de Iaşi. Si le Collège a décidé de ne pas l’assimiler par principe aux collaborateurs, de toute manière, il était obligé de faire des investigations sur les dossiers de la Securitate, notamment les dossiers de 1956 et les dossiers des membres du Parti « avertis » par les premiers secrétaires des deux départements. Le Collège, qui a fait des investigations sur Ion Iliescu, s’est déclaré satisfait de trouver que celui-ci n’avait pas (plus) de dossier de Securitate, pour arrêter l’investigation et ne pas l’assimiler aux collaborateurs de la police politique.
Il y avait également le cas d’un autre candidat, Corneliu Vadim Tudor, le chef du Parti de la Grande Roumanie qui était jusqu’en 1989 journaliste à l’agence roumaine de presse, Agerpres, et à la revue Săptămîna. Dans le cadre de cette revue, il a participé aux opérations de la Securitate qui visaient compromettre l’opposition roumaine de l’extérieur du pays, notamment les militants pour les droits de l’homme et les journalistes de la section roumaine de Radio Free Europe/Radio Liberty. En tant que membre du Parti et, fait aussi important dans la pratique de la Securitate, frère de Marcu Tudor, officier de la l’Armée qui travaillait à l’Entreprise de Commerce Exterieur Spécial (Romtehnica), Corneliu Vadim Tudor n’avait pas de dossier de collaborateur. Les sources de la Securitate qui sont devenues accessibles après 1989 ont montré que les documents utilisés par cette revue venaient de la Securitate. C’est le cas de la « compromission » de Ion Caraïon, un écrivain réfugié politique en Suisse, et c’est aussi le cas des actions contre l’ancien dissident Paul Goma et contre les journalistes de la section roumaine de la RFE/RL, subordonnées aux opérations de la Direction d’Information de l’Extérieur de la Securitate, appelées Meliţa et Eterul.
Les deux cas mentionnés ont montré que le Collège n’est pas prêt ni d’inclure dans la liste des collaborateurs des personnes qui supposent une investigation au-delà des dossiers personnels rémis par le Service Roumain d’Informations, ni d’accepter comme preuves d’autres sources et/ou documents, comme la loi l’oblige d’ailleurs.
Une autre illégalité du Collège représente le « cas » de Ludovic Rakóczi, ancien député et candidat de l’Union Démocrate des Magyars aux élections de novembre 2000, qui a été indiqué parmi les personnes « qui ont déployé des activités de police politique ». Le communiqué a eu comme effet que son parti l’a retiré de ses listes et qu’il a nuit à sa famille. Rakóczi a contesté la décision auprès du Collège et le 7 décembre 2000 il a reçu un papier qui confirmait que la décision était erronée. Essayant de corriger son image publique, il a tenu une conférence de presse. Par la suite, le président du Collège, Gheorghe Onişoru, dans une discussion à la télévision, est revenu encore une fois sur sa décision. Onişoru se justifiait, au motif qu’un autre membre du Collège, Ladisalau Csendes, qui se dépêchait alors, lui ayant remis le papier, il ne savait pas très bien ce qu’il signait[31]. Peu importe si cette motivation est vraie ou fausse. Elle montre que le Collège est prêt à changer l’appréciation de certaines personnes, à condition que l’information n’apparaisse pas dans la presse. De nos informations, nous connaissons un autre cas du Parti National Paysan Chrétien Démocrate, il s’agit de Mircea Popa, qui vient confirmer une fois de plus cette interprétation.
Le problème des employés de la Securitate et de leurs actions va apparaître d’une manière inattendue dans le débat publique à l’occasion de la nomination du sénateur du Parti de la Démocratie Sociale, Ristea Priboï, à la direction de la Commission parlementaire pour le contrôle du Service d’Informations de l’Extérieur. Dans les années ’80 Priboï était l’adjoint du chef de la Direction d’Informations de l’Extérieur (DIE), Nicolae Pleşiţă, et chef d’un bureau qui s’occupait aux « mesures actives » contre les opposants roumains de l’Occident. Pendant cette période plusieurs opérations se sont produites. Les exilés roumains : Paul Goma, Şerban Orescu et Nicolae Penescu ont reçu des bombes camouflées dans des livres, et des envoyés de la Securitate ont essayé ensuite d’empoisonner Paul Goma et de kidnapper Virgil Tănase ; Monica Lovinescu et Emil Georgescu, journalistes à la RFE/RL, ont été battus affreusement et, respectivement, poignardés ; le terroriste Ilici Ramirez Sanchez, dit le « Chacal », a fait exploser une bombe au siège de la radio de Munich[32]. En 1981 il a été impliqué dans la répression de la Securitate contre les intellectuels qui pratiquaient la « méditation transcendantale », une technique de relaxation qui se déployait jusqu’alors sous les auspices du régime[33], et en 1987 il participait, de la part de la DIE, aux enquêtes et à la répression déchaînée par le régime contre les travailleurs révoltés de Braşov[34]. Après 1989 Priboï est devenu chef de la direction du Service d’Informations de l’Extérieur pour l’Europe et l’Amérique de Nord. Entre 1994 et 1997, en tant qu’officier couvert, il est devenu chef de cabinet de Adrian Năstase (l’actuel Premier ministre et, pendant la législature 1992-1996, président de la Chambre des Députés et chef du Groupe parlementaire et d’amitié avec la Grande Bretagne). En 1997 il est passé en réserve. En 1996, quand il était encore officier couvert du Service d’Informations de l’Extérieur, il est devenu président de l’Association Roumaine pour l’Éducation Démocratique, organisation paravent du Parti de la Démocratie Sociale de Roumanie (l’actuel PSD), qui avait comme but de contrecarrer l’influence des vraies organisations civiques sur la jeunesse. Une partie de ces informations de presse ont été confirmés par Priboï lui-même[35].
Le Collège a lui-même été impliqué dans ce scandale, étant donné qu’il n’a pas indiqué que le sénateur du Parti de la Démocratie Sociale avait été un agent de la police politique, à l’occasion des investigations faites sur les candidats pour le Parlement. Il s’avérait, une fois de plus, que les investigations du Conseil n’étaient faites qu’à partir des archives détenues par le Service Roumain d’Informations, ce qui est évidement contraire à la loi. Le président du Conseil, Gheorghe Onişoru, a motivé la position du Collège envers ce cas par le fait que Priboï avait été vérifié par les services secrets eux-mêmes et en l’absence des archives, ce qui est, encore une fois, contraire à la loi, le Conseil étant le seul à porter un jugement sur la qualité des relation des des personnes soumises à l’investigation avec la Securitate et le seul responsable de n’avoir pas utilisé les moyens légaux – administratives, civiles et pénaux – pour contraindre les structures informatives à respecter la loi.
Par la suite, le Conseil a reçu un nombre de documents sélectionnés au préalable par le Service d’Informations de l’Extérieur, et a donné ultérieurement un communiqué qui soutenait que Priboï n’avait pas déployé d’activités spécifiques à la police politique[36]. Pendant tout ce scandale, le Collège a suivi de près la position des services secrets et du Premier ministre. Dans le même temps, le Premier ministre Adrian Năstase a attaqué le Conseil et ses employés disant que dans cette institution « quelques centaines de personnes lèchent des dossiers ». Il a précisé : « Je ne crois pas dans l’efficacité de cette institution », parce que « cette lutte avec le passé et le déterrement des tombes ne sert à rien »[37] et a affirmé aussi sa volonté de modifier la loi. Le Collège du Conseil n’a réagi d’aucune manière à cette prise de position. En dehors des raisons politiques, il y a probablement aussi des raisons personnelles pour la prise de position du Premier ministre. Adrian Năstase a fait partie des milieux de la nomenklatura et, en tant que directeur d’études à l’Institut International pour les Droits de l’Homme de Strasbourg, dans les années ’80, il a participé aux actions du régime communiste qui visaient contrecarrer la « propagande occidentale des droits de l’homme ». Dans cette qualité il a certainement été en contact avec la Direction (le Centre) d’Informations de l’Extérieur de la Securitate, et la presse roumaine a spéculé sur sa collaboration avec Priboï dans ce domaine. Par la suite, le président Ion Iliescu et Ioan Mircea Paşcu, le ministre de la Défense, ont reconnu que le maintien de Priboï à la tête de ladite commission va compromettre définitivement la candidature de la Roumanie pour l’OTAN[38]. Finalement, quand Adrian Năstase a été contraint à renoncer à la candidature de son protégé, le Collège s’est mis à nouveau dans la situation embarrassante de changer l’avis sur les actions de Priboï[39]. Le cas montre que le Collège du Conseil est arrivé jusqu’à se transformer dans un instrument des services secrets et de l’exécutif.
Le Collège était aussi obligé, par sa loi de constitution, de rendre publique la liste complète des employés de la Securitate qui ont déployé des actions spécifiques à la police politique. Mais, jusqu’à maintenant, aucune liste n’a été publiée, même si au temps des investigations pour les candidatures au Parlement l’appareil technique du Conseil a rédigé des listes avec ces employés. En tant qu’ancien investigateur au Conseil, nous avons participé nous-mêmes à la rédaction de ces listes. Lors de l’investigation des dossiers nous avons conclu qu’il n’y avait pas de structures spéciales de répression à l’intérieur de la Securitate, dans cette institution tous les employés déployaient des actions spécifiques à la police politique. Les pièces des dossiers consultés montrent que toutes les personnes de la Securitate qui ont participé à leur rédaction, qui ont supervisé ce travail ou qui ont été impliqués, d’une manière ou d’une autre, à la constitution de celles-ci, peuvent être facilement incluses dans la liste des agents de la Securitate qui ont déployé des actions spécifiques à la police politique.
Si, en faisant la distinction entre « la Securitate » et « la Securitate en tant que police politique », la loi oblige vraiment le Conseil de prouver l’implication des employés de cet Organe, il existe dans ces dossiers des preuves indubitables pour le faire. D’ailleurs, l’implication des employés de la Securitate dans des actions dites « de police politiques » est facile à établir. Etant donné que la Securitate était un organisme qui travaillait dans une complète conspiration, les dossiers qu’elle rédigeait ne respectaient pas le moindre principe légal, les violations des droits de l’homme allant de l’ouverture d’un dossier de « filature informative », qui ne supposait jamais un mandat de la part d’un procureur, et jusqu’aux tortures ou même aux crimes. En fait, la publication de cette dernière liste aurait obligé le Collège d’abandonner la vision des structures répressives spéciales à l’intérieur de la Securitate, le seul problème qui restait était l’administration des preuves. Le Collège a démontré qu’il n’est pas prêt à entrer en conflit avec les structures informatives, pour le dévoilement de la Securitate, même si c’est justement ce que la loi l’oblige à faire.
Pratiques institutionnelles du Collège
Au mois de juillet 2000, le Collège du Conseil a organisé un concours, à la suite duquel il a employé 150 investigateurs, le reste, environ 100 postes, étant occupés par l’appareil administratif de l’institution. Pendant les mois de septembre et d’octobre, ont été organisés des cours d’instruction pour les personnes sélectionnées pour les postes d’investigateurs. Pour ce qui est de l’étude des dossiers de la Securitate, le Collège a invité un ancien employé de ladite institution, le colonel Oniţu Oprişor, qu’on a trouvé ultérieurement parmi ceux qui ont contribué à la réalisation des dossiers de filature informative de la manière décrite plus haut. Le président du Conseil, Gheorghe Onişoru, a reconnu publiquement que l’instruction de son corps analytique allait être faite par les services secrets : « Ils [les futurs investigateurs] auront des lecteurs roumains, de la part des services secrets. »[40]
Oniţu Oprişor a travaillé, depuis 1962, à la Securitate de la Capitale, devenant ultérieurement chef du Département Culture et Art, qui s’occupait de la prévention de la contestation et, quand celle-ci échoue, de la répression dans les milieux artistiques. Depuis 1990, il a travaillé dans l’unité nº 0215 du Ministère de l’Intérieur, comme chef du Service Synthèse, qui faisait des rapports informatifs pour la haute hiérarchie du pouvoir. Formellement dénommée Unité de protection informative du dit ministère, cette structure a été fréquemment accusée dans la presse d’avoir été la police politique de Ion Iliescu et de son régime politique instauré entre 1990 et 1996, pour le fait d’avoir utilisé des méthodes similaires à la Securitate à l’encontre de ses opposants politiques. C’est justement pour cette raison qu’elle a été réorganisée en 2000, même si tardivement, à la suite d’une disposition du président d’alors, Emil Constantinescu.
Les exposés d’Oprişor n’étaient pas seulement techniques, son discours cherchant à transmettre aux participants la thèse, chère aux services secrets roumains actuels, selon laquelle les violations des droits de l’homme, les tortures et les crimes de la Securitate étaient l’œuvre des employés sans instruction supérieure. Oprişor ainsi que les responsables des archives des services secrets qui ont été invités au Conseil pour participer à l’instruction du corps analytique de l’institution, ont précisé que le problème du dévoilement du réseau informatif externe ne se pose pas, et que le problème du réseau informatif interne doit être abordé avec prudence. En d’autres termes, si un indicateur des services secrets roumains actuels opérant à l’étranger, a aussi fait partie du réseau informatif de la Securitate, les structures informatives actuelles vont s’opposer non pas seulement à son dévoilement, mais aussi à sa vérification. Les choses se sont passées de la même manière avec les indicateurs des services secrets internes qui ont été des indicateurs de la Securitate. Ces assertions sont équivalentes à l’opposition à l’application de la loi, ce qui est d’ailleurs sanctionné par la loi pénale. Le Conseil et son organisme de direction, le Collège, ne peuvent pas agir comme un protecteur des réseaux informatifs des services secrets, s’il agissait autrement il transgresserait la loi. Le seul fait que des personnes des services spéciaux sont invitées au Conseil pour tenir de tels propos aux investigateurs, est suffisant pour se poser la question sur la volonté d’appliquer la loi et sur l’indépendance de son organisme de direction. Par la suite, la politique du Collège a été d’éviter d’entrer en collision avec les services secrets, en arrivant ainsi à renoncer à ses prérogatives légales et s’inscrivant dans une logique de subordination face aux structures informatives.
Un exemple du contenu des relations qui s’établissent entre le Collège, en tant qu’organisme de direction, et son appareil technique, constitue le « cas » de Gabriel Catalan. Pendant le 1er septembre 2000-le 1er mars 2001, Catalan a fait partie du corps des investigateurs et il est ensuite devenu chercheur, après la constitution d’une structure de recherche au Conseil. En janvier et mars 2001, il a remis à la presse quelques documents concernant le Patriarche de l’Église Orthodoxe Roumaine, Teoctist Arăpaşu, obtenus légalement, avant d’être employé au Conseil, à la suite de l’obtention (en février 1999) d’un permis qui lui a facilité l’accès aux documents de la Securitate. D’après les documents de la Securitate auxquelles Catalan a eu accès, l’actuel Patriarche aurait participé pendant sa jeunesse, en 1941, pendant la rébellion légionnaire, à l’incendie d’une synagogue et il était connu pour avoir pratiqué l’homosexualité. Le contenu des documents était d’autant plus grave que le Patriarche s’était opposé, après 1989, à la désincrimination pénale de l’homosexualité et, étant donné sa qualité de personne publique, l’opinion publique avait le droit de connaître les allégations. Dans les journaux qui ont publié les documents, Catalan était cité dans sa qualité de chercheur. Il exprimait sa conviction que le Patriarche de maintenant était recruté par la Securitate à la suite de tells informations compromettants[41].
Même si Catalan Catalan ne s’est jamais réclamé de son appartenance au Conseil, il parlait seulement dans sa qualité de chercheur qui a trouvé les documents, le 22 mars 2001 le Collège a donné un communiqué de presse pour prendre ses distances vis-à-vis de ses affirmations, tout en l’accusant d’avoir impliqué « indirectement » le Conseil. Le même jour et le suivant, les médias ont reproduit les affirmations du président du Conseil, Gheorghe Onişoru, et de certains membres du Collège qui prétendaient que le chercheur est un membre indiscipliné du Conseil, qui a déjà reçu deux avertissements, et qu’il va être, « probablement », licencié[42]. La distance prise par le Collège vis-à-vis des affirmations de Catalan est en soi non justifiée, et l’appréciation de celles-ci comme engageantes pour l’institution une interprétation abusive qui procède à une confusion de rôles. D’une manière connexe, dire qu’un employé du Conseil a transgressé « indirectement » la loi, ouvre la voie de l’arbitraire, étant donné que la violation de la loi est ou n’est pas, sinon toute personne peut être accusée de n’importe quoi. Et, enfin, dire que l’employé du Conseil va être « probablement » licencié, avant la prononciation officielle du Collège sur le « cas », représente un autre abus des membres du Collège.
Néanmoins, Catalan a été vraiment licencié, pour les motifs indiqués plus haut. Mais avant que la décision du Collège soit prise, Radu Timofte, le chef du Service Roumain d’Informations, a accusé le chercheur d’avoir « soustrait » des documents du Conseil qu’il a ensuite remis à la presse. L’affirmation a été faite dans une interview accordée à la chaîne de télévision Pro Tv, dans une émission informative, pendant la période le 21-le 27 mars 2001. Ultérieurement, Timofte a répété cette accusation dans une autre interview à la télévision, accordée à la chaîne Roumanie 1, dans l’émission de Ralu Filip et Cristian Tudor Popescu, intitulée Scurt pe doi, du 29 mars 2001, accusations reproduites ensuite aussi par la presse[43]. Le chef du principal service secret interne savait très bien qu’aucune personne, en tant qu’employé du Conseil, n’avait eu accès aux documents concernant le Patriarche, son affirmation étant un acte typique de désinformation et d’intoxication de la presse.
Cette opération n’a pas été faite sans la collaboration de certains journalistes très proches du Service Roumain d’Informations. Un des exemples déjà cités est Ralu Filip (à présent président du la Conseil National de l’Audiovisuel, l’organisme de réglementation dans le domaine), journaliste au Curierul Naţional, organe de presse patronné par un ancien officier couvert de la Direction d’Informations de l’Extérieur de la Securitate, George Constantin Păunescu. Conformément aux affirmations de Gheorghe Mocuţa, ancien procureur, secrétaire d’État au Ministère de la Justice et commissaire en chef de la Garde Financière, affirmations jamais contestées, Filip était lui-même un officier de la Securitate. L’autre exemple est Cristian Tudor Popescu, rédacteur en chef de Adevărul, ancien officieux du Parti communiste, Scânteia.
Le Collège a montré qu’il ne va pas tolérer des différences d’opinion entre son point de vue et le point de vue d’un de ses chercheurs, et qu’il est prêt à sanctionner la liberté d’expression en violant ainsi le principe de la recherche de la vérité et l’éthique qui sont à la base de la science. Quelques mois après, un membre du Collège, Andrei Pleşu, justifiait le licenciement de Gabriel Catalan par une prétendue protection de l’image du Patriarche et aussi par des raisons de protection de l’image du Conseil : « Il [Gabriel Catalan] a compris laisser passer dans la presse des informations sur quelqu’un [le Patriarche] concernant les questions privées. Il n’est pas questions si ces choses-là sont vraies ou non, parce qu’elles ne doivent pas être faites publiques, et notamment par quelqu’un qui travaille au Conseil National pour la Recherche des Archives de la Securitate. Autrement, la sensation qui va naître sera que nous sommes une sorte de groupe de braconnage moral, qui pêche toute sorte de choses pittoresques et fait exploser des pétarades publiques. Nous voulons avoir une image un peu plus sobre. »[44] Il est probablement inutile d’ajouter que la posture d’avocat de l’image privé du Patriarche – personne publique par excellence – que le Collège du Conseil a assumé, et la nature des allégations – en discussion étant son appartenance à un mouvement d’extrême droite et ses actions dans cette qualité, son homosexualité et sa collaboration avec la Securitate – fait sourire un lecteur occidental, n’ayant rien à voir avec son statut d’institution indépendante.
Le cas présenté auparavant a montré que le Collège s’est situé à nouveau dans une position d’obéissance envers les services spéciaux. Le licenciement de Catalan a représenté aussi un avertissement pour les autres employés du Conseil, et notamment pour les chercheurs, la décision du Collège les contraignant à autocensurer si leurs points de vue ne concordent pas avec la position de la direction[45]. D’ailleurs, le Collège s’est vite rendu compte de la concurrence que le Département de Recherche pouvait faire à sa manière de dévoiler la Securitate, et c’est pour cette raison que les employés qui voyaient d’une manière différente l’application de la loi ou qui ont défendu Gabriel Catalan ont été avertis, sanctionnés et finalement licenciés. Il est significatif de ce point de vue que les chercheurs du Conseil préparaient pendant cette période une brochure informative sur les activités de la Securitate. Étant donné que la vision des chercheurs était complètement différente de la position du Collège, cette brochure n’a jamais été publiée.
Pour purger l’institution d’indésirables, le Collège a profité d’un ordre du Ministère des Finances du mois d’avril 2001, qui demandait à toutes les institutions publiques de réduire leur personnel de 30 %. Le Collège a profité également de cet ordre pour réorganiser l’institution, le Département de Recherche étant pratiquement détruit, soit par licenciement, soit par le transfère d’une partie de ses employés au Département des Archives. A cette occasion, 34 employés du Conseil ont été licenciés, en tête de la liste du Département de Recherche figurant notre nom.
En tant que membre du Conseil, le 8 janvier 2001 nous avons adressé un mémoire au Collège où nous déplairions, en invoquant des exemples concrets, le manque d’autorité du corps des investigateurs devant le Collège, et demandions à l’organisme de direction du Conseil de protester auprès le Service Roumain d’Informations pour nous avoir vérifié du point de vue informatif, vérification qui est illégale. En conséquence, le 23 janvier 2001 nous avons été convoqués devant le Collège où, pendant une heure, huit membres de cet organisme ont essayé nous convaincre de renoncer à notre point de vue, en nous menaçant et en nous soumettant à des pressions psychiques. A la suite de cette entrevue, nous avons déposé une plainte auprès l’institution de l’Avocat du Peuple (institution de type Ombudsman chargée avec l’investigation des violations des droits de l’homme face aux institutions publiques), en accusant les membres présents du Collège de « torture psychique ». A son tour, cette dernière institution a procédé d’une manière étrange, en envoyant notre mémoire au Collège pour lui demander son point de vue, violant ainsi le principe d’une recherche indépendante et nous détruisant le probatoire. Par la suite, le 29 mars 2001 nous avons été convoqués à nouveau devant le Collège pour donner des explications sur le mémoire adressé à l’Avocat du Peuple et pour un autre mémoire adressé à la direction du Conseil le 26 mars 2001, où nous défendions Gabriel Catalan. Étant donné que nous avons refusé de nous y présenter – tout en motivant par écrit que le fait d’avoir envoyé des mémoires à l’Avocat du Peuple est un droit constitutionnel pour l’exercice duquel nous ne sommes pas tenus de donner des explications, et que pour l’autre mémoire nous avons demandé une réponse écrite – le 3 avril 2001 nous avons été sanctionnés par la diminution de 10 % du salaire pour une période de trois mois et, finalement, le 27 avril 2001, à l’occasion de l’ordre du Ministère des Finances déjà indiqué, licenciés.
La situation décrite plus haut montre que le seul statut accordé par le Collège, en tant qu’organisme de direction, de coordination et de contrôle, à ses employés – soit-ils investigateurs ou chercheurs – était celui de « courroie de transmission » de ses ordres et dispositions, ce qui est d’ailleurs contraire à la loi, les employés du Conseil étant assimilés aux fonctionnaires publiques qui, dans leur qualité, ont déposé le serrement de respecter la loi et les droits de l’homme.
En dehors du Service d’Investigations et du Service de Recherche-Archive (composé par le Département de l’Archive et le Département de Recherche) déjà indiqués, l’appareil technique du Conseil est aussi composé d’un Service de Ressources Humaines, d’un Service Economique et Administratif, d’un Service de Vérification Agents, d’un Bureau de Protection des Informations, d’un Bureau Informatique et d’un Service Juridique. L’option du Collège a été de séparer les investigateurs qui vérifient les agents de la Securitate de ceux qui vérifient les collaborateurs. Mais, la nomination à la direction du Service Vérifications Agents de Remus Murzea, une personne qui a travaillé avant au Service d’Informations de l’Extérieur, représente une violation de la loi. C’est la raison pour laquelle, étant en possession de cette information, quatre membres du Conseil – Gabriel Catalan, Liviu Ţăranu, Cornelia Porumboiu et Mircea Stănescu, dont les deux premiers ont participé eux-mêmes aux concours pour les postes de direction organisés le 20 février 2001 – ont déposé le 23 février un mémoire auprès du Collège où, au-delà du non-respect des normes de procédure, ils contestaient le droit de la personne sélectionnée à occuper le poste et sollicitaient l’organisation d’un autre concours dans le respect rigoureux des dispositions légales. Dans leur mémoire, les signataires indiquaient aussi le cas de Răzvan Popa, un employé du Conseil qui a reconnu avoir travaillé avant comme officier au Service Roumain d’Informations.
Dans la réponse, reçue le 2 mars 2001, les contestataires étaient informés que leur contestation a été rejetée par le Collège « pour la raison qu’elle n’est pas fondée », sans aucune autre explication. La réponse était signée par Gheorghe Onişoru, président du Conseil, Meda Gavriluţ, directrice de la Direction de Ressources Humaines et Mihaela Vrînceanu, directrice du Service Juridique. D’après nos informations, il y a aussi deux autres cas d’anciens employés des services secrets roumains au Service Investigations du Conseil, dont un s’appelle Loţi Fabian. Rappelons qu’il est contraire à l’esprit et à la lettre de la loi d’organisation et de fonctionnement du Conseil, en tant qu’institution indépendante, chargée du dévoilement de la police politique, d’employer des personnes ayant travaillé dans les structures de la Securitate, de même que dans les structures informatives internes après 1989. Récitons l’article n° 8 (8) de la loi :
« Les agents et les collaborateurs des organes de la securitate, définis par la présente loi, ceux des autres services secrets étrangers, des autres structures informatives internes et étrangères et des autres organisations qui ont déployé et qui déployant des activités qui sont contraires aux droits et aux libertés fondamentales de l’homme ne peuvent pas faire partie du Conseil et du Collège du Conseil. »
Le Bureau de la Protection des Informations a été conçu, du début, comme une structure composée par des anciens officiers de la Securitate. Il était dirigé par Gheorghe Paşc, un ancien officier de la Securitate, devenu après ’89 colonel du Service Roumain d’Informations, chef de la Division « F », qui s’occupe du stockage des informations et de la gestion des archives. Il était passé en réserve avant d’avoir l’âge de la retraite, pour des raisons médicales, mais en fait pour occuper le poste au Conseil. Paşc est aussi le propriétaire d’une firme de protection et de gardes de corps qui a vendu au Conseil – sans se préoccuper de la question du conflit d’intérêts, lui et le Collège aussi – l’installation de surveillance. Deux autres employés de la Securitate et, ensuite, du Service Roumain d’Informations, le colonel Ştefănescu et un autre qui s’appelle Cristescu, fessaient aussi partie de ce bureau. La formation de cette structure constituée par le Collège avec des officiers de la Securitate et/ou des structures informatives nées après 1989 de celle-ci, est la preuve indubitable de la dépendance du Conseil des services spéciaux roumains. Ultérieurement, pendant l’été 2002, après la publication des informations les concernant, ces trois personnes ont été retirées du Bureau. De plus, le Service Vérification Agents a été dissout, signe qu’il n’avait pas d’objet de travail.
Une situation similaire s’est passée avec le Bureau Informatique. Même si au début de son activité le Collège a employé comme directeur Harald Alexandrescu, en avril 2001, à l’occasion de la réorganisation de l’institution, il a été licencié, la motivation du Collège étant que « les informaticiens du Service Roumain d’Informations sont meilleurs ». La conséquence de toutes ces mesures du Collège a été une colonisation du Conseil par des anciens employés de la Securitate et/ou des services secrets roumains actuels, en inscrivant ainsi l’institution dans une situation de dépendance analytique, organisationnelle et de personnel de ces structures informatives.
Nous avons vu qu’en avril 2001 le Collège a pratiquement détruit sa structure de recherche qui avait commencé à prendre au sérieux le problème du dévoilement de la Securitate, en s’inscrivant ainsi dans une logique d’opposition envers le Collège. Par la suite, la structure de recherche a été beaucoup réduite et la direction de l’institution a pris toutes les mesures qu’une pareille situation ne se reproduise plus. De plus, le 1er octobre 2001 le Collège a employé Mihaï Pelin. Qui ne connaît pas en Roumanie Mihaï Pelin ? Il s’agit d’un écrivain en service commandé qui a travaillé dans la résidence DIE de Milano. Il trafiquait des informations arrachées en enquête, par la Securitate, à ses opposants politiques, dans le but de soutenir la propagande du régime Ceauşescu et de mener des attaques contre les dissidents et les opposants du régime[46]. En tant que participant à ces opérations, Pelin peut être facilement assimilé aux collaborateurs de la police politique en vertu de l’article n° 4 (4) de la loi.
Après 1989, Pelin est resté un personnage-clé des opérations de la refonte de l’image de la Securitate initiées par le Service Roumain d’Informations et le Service d’Informations de l’Extérieur. Il a été à la tête du collectif qui a réalisé Le livre blanc de la Securitate, recueil de documents choisis en vue de blanchir la Securitate et pour soutenir la thèse selon laquelle les vrais opposants du régime étaient des personnes immorales et des traîtres à la patrie, les collaborateurs du régime et/ou de la Securitate étant non seulement des vraies patriotes, mais aussi les persécutés[47]. Il a écrit aussi DIE, 1955-1980. Les coulisses de l’espionnage roumain, pour transmettre aux sévices secrets américains le message que Ion Mihaï Pacepa, l’ancien adjoint du chef de la Direction d’Information de l’Extérieur passé aux Américains, continue, lui aussi, d’être considéré par les services secrets roumains actuels comme un « traître »[48]. Ensuite, il est l’auteur des Operations « Meliţa » et « Eterul ». L’histoire de l’Europe libre à travers les documents de la Securitate, où il essaye de nier les actions et les attentats perpétrés par la Securitate contre les journalistes et les collaborateurs du poste[49]. Et, en dernière instance, il est l’auteur de « Artur », le dossier de Ion Caraïon, ouvrage écrit d’après le dossier de compromission réalisé par la Securitate, concernant l’écrivain roumain depuis 1981 réfugié politique en Suisse[50].
Que tous ces travaux de désinformation et de compromission ne soient pas restés sans effet, même sur des personnes habituées à manipuler de telles productions, est prouvé du moins dans le cas de l’écrivain Ion Caraïon. En 1998, l’écrivain Doïna Jela a publié Cet amour qui nous unit[51], livre sur Ecaterina Bălăcioïu – l’ancienne épouse du grand historien et critique littéraire Eugen Lovinescu et mère de la journaliste et critique littéraire à la RFE/RL, Monica Lovinescu –, morte dans des conditions terribles dans une prison communiste. Le livre de Jela, qui a été écrit à l’appui de Monica Lovinescu, considère Ion Caraïon, arrêté dans le même groupe avec Ecaterina Bălăcioïu, comme l’auteur moral de sa morte, en se fondant sur le dossier de « compromission » rédigé par la Securitate contre l’écrivain après son départ pour Suisse.
Tous ces livres ont été réalisés sur la base de documents de la Securitate, dans les conditions où l’accès des chercheurs était strictement limité et contrôlé par les responsables du Service Roumain d’Informations. Interpellé dans une interview, un des membres du Collège, Horia-Roman Patapievici, a donné une réponse stupéfiante pour motiver la présence de Pelin dans son institution : « il a contribué énormément au dévoilement de la Securitate en tant qu’institution maléfique, brutale, arbitraire et intolérable. »[52] Employant une personne comme Mihaï Pelin, le Collège a donné la preuve de sa soumission totale envers les services secrets, en assurant le contrôle de ces services sur le département de recherche du Conseil. Il est significatif de ce point de vue qu’avant de la date du premier symposium organisé par le Conseil, pendant le 4-le 6 octobre 2001, Pelin a demandé aux employés du Conseil invités à tenir des communications de lui remettre leurs textes.
Le présent et l’avenir du Conseil
Actuellement, le Collège attend que la loi soit modifiée par le Parlement qui est dominé par les forces politiques d’origine communiste. Il s’agit du Parti Social Démocrate (l’ancien PDSR), dirigé par Adrian Năstase, et du Parti de la Grande Roumanie, dirigé par Corneliu Vadim Tudor. Sur l’avenir du Conseil, il y avait deux projets. Le premier, celui du Parti de la Grande Roumanie, qui était pour supprimer l’institution, et le deuxième, du Parti Social Démocrate, qui était pour une réduction drastique de ses attributions. Finalement, c’est le deuxième projet qui a été accepté pour être débattu dans les commissions juridiques des chambres du Parlement, le projet du Parti de la Grande Roumanie étant rejeté non pas par des raisons de contenu, mais par des raisons politiques et d’image, comme l’affirme cyniquement un document émis par le gouvernement : « Dans les conditions où le SRI [le Service Roumain d’Informations] va devenir la seule institution habilitée à assurer l’accès aux dossiers, toutes les éventuelles mécontentements des citoyens vont être dirigés contre celui-ci, affectant gravement son image et sa crédibilité, tant sur le plan interne qu’externe. »[53] Le document montre sans équivoque que le seul rôle réservé par le gouvernement au Conseil est celui d’interface entre le Service Roumain d’Informations et la population, statut que l’institution chargée avec le dévoilement de la Securitate est arrivée à accepter après une timide tentative d’opposition.
Conformément à la loi, le Conseil est une institution indépendante sous le contrôle du Parlement. Mais en pratique, le Législative n’a pas exercé du contrôle – et il n’a pas accordé d’aide non plus – au Conseil. La seule Commission du Parlement intéressée par son activité est la Commission pour le contrôle du Service Roumain d’Informations, organisme qui s’est manifesté régulièrement comme protecteur des intérêts du Service et comme adversaire de l’application de la loi de dévoilement de la Securitate. Le président de cette commission, Ion Stan, membre du Parti Social Démocrate de gouvernement, s’est fait le messager des propositions de son parti en vue de la modification de la loi. Le projet apporte une nouvelle définition –assurément plus restrictive – des termes clé de la loi : « police politique », « collaborateur », « agent » des Organes répressifs et « dossier ». Il suppose aussi exempter les prêtres des vérifications d’office et le remplacement des membres du Collège par des magistrats[54]. La tutelle que cette commission essaie d’exercer sur l’activité du Conseil est illégale – fait d’autant plus grave, étant donné qu’il s’agit de l’institution qui élabore les lois – tout en sachant que son objet d’activité est le contrôle civil sur le principal service secret interne, et non pas les archives de la Securitate. Normalement, les seules commissions du Parlement qui pouvait exercer un contrôle sur le Conseil sont la Commission pour Art, Culture et Mass Media et la Commission pour les Droits de l’Homme. Les prises de positions de la Commission pour le Contrôle du Service Roumain d’Informations avouent implicitement qu’entre la Securitate et le Service Roumain d’Informations il y a une forte continuation au niveau des gens, des structures et des pratiques.
Le Collège a proposé lui-même certains modifications de la loi, mais en général il a refusé de parler de leur contenu. Gabriel Andreescu, membre de l’Association pour la Défense des Droits de l’Homme-le Comité Helsinki, qui a posé la question, n’ a jamais eu de réponse. De plus, dans une interview, Andrei Pleşu, membre du Collège, a affirmé qu’une des propositions de l’organisme dont il fait partie vise l’accès au dossier personnel rédigé par la Securitate aux personnes qui ont perdu la citoyenneté roumaine, catégorie qui, d’après lui, ne figure pas dans la présente loi : « un Roumain qui a perdu la citoyenneté roumaine ne peut plus voir son dossier. S’il n’a pas plus la citoyenneté roumaine ou aussi la citoyenneté roumaine, il ne peut pas voir le dossier. »[55] Ce n’est pas pour la terrible méconnaissance de la loi qui montre ce membre du Collège que nous citons le passage, le 1er article étant très clair sur ce point, mais pour indiquer que derrière il y a d’autres raisons qu’il ne réussit pas cacher. A son tour, la porte-parole du Conseil, Carmen Pescaru, a déclaré que la loi est « trop dure » en incluant dans la catégorie des collaborateurs les personnes qui ont signé un engagement de collaboration avec la Securitate, mais qui, par la suite, n’ont pas offert des informations[56]. D’ailleurs, le Collège a toujours critiqué sa loi d’organisation et nous avons déjà vu il a mené une politique d’atténuation des effets de la loi, en cassant la notion de « collaborateur » en trois sous-catégories.
De toute manière, une restriction des prévisions de la loi, une simplification de l’analyse que le Collège est tenu de faire et une légalisation de l’actuel état de subordination aux services secrets et au gouvernement, semble lui convenir. Et jusqu’à présent, il a pratiquement bloqué l’application de la loi, le cas de l’investigation des prêtres étant le plus flagrant. Même si, le 7 mars 2001, le Collège a annoncé publiquement avoir commencé l’investigation des prêtres, jusqu’à maintenant aucun résultat de la vérification n’a pas été publié[57]. Ultérieurement, la hiérarchie de l’Église Orthodoxe Roumaine a demandé officiellement au Conseil de l’exempter de l’application de la loi. Elle a demandé et obtenu, dans le même temps, la protection politique du président Ion Iliescu et de la même Commission Parlementaire pour le Contrôle du Service Roumain d’Informations[58]. Le Premier ministre et président du parti de gouvernement, Adrian Năstase, a tenu lui-même exprimer son opposition négative à l’égard du dévoilement des prêtres collaborateurs de la Securitate[59].
Les services secrets roumains s’opposent au dévoilement des prêtres qui ont collaboré avec la Securitate, étant donné que les structures ecclésiales de l’Église Orthodoxe Roumaine à l’étranger continuent à être utilisées comme couverture pour leurs actions. Mais il y a aussi des raisons du moins aussi importantes qui tiennent à la politique interne : à l’appui des structures politiques sorties du national-communisme de Ceausescu, après 1989 l’Église Orthodoxe a essayé d’occuper la place qu’occupait l’idéologie communiste auparavant. Finalement, la tentative a échoué, mais l’Église Orthodoxe a réussi à se positionner dans le périmètre politique roumain comme une des plus importantes institutions de l’État.
Une situation similaire s’est passée avec la vérification des ministères. Même si la porte-parole du Conseil, Carmen Pescaru, a déclaré plusieurs fois à la presse que son institution a trouvé des collaborateurs de la Securitate dans 22 des 26 ministères, le Président du Conseil, Gheorghe Onişoru, l’a contredit ultérieurement, affirmant que seuls quatre ministères ont été soumis aux investigations, ceux de la Justice, de l’Administration Publique, des Petites et Moyennes Entreprises et des Communications, le résultat étant négatif[60]. Par la suite, à l’exception de la direction du Ministère de la Défense, qui a obtenu un certificat de non-collaboration avec la Securitate[61], aucune autre résultat des vérification concernant les ministères n’a plus été publiée, ce qui montre qu’il ne s’agissait pas d’une simple contradiction, mais d’un résultat délibérément caché, fait confirmé par un membre du Collège, Mircea Dinescu[62].
En ce qui concerne la vérification des journalistes, la situation n’est pas différente. Le Club Roumain de la Presse a adressé au Conseil, le 10 juillet 2000, une demande de vérification de l’appartenance de ses membres aux services secrets communiste et il a reçu, en janvier 2002, une réponse indiquant qu’aucune personne du Conseil d’Honneur du Club « n’a[vait] été agent ou collaborateur des organes de la Securitate »[63]. La décision du Collège du Conseil est complètement étrange, étant donné que des pièces du dossier d’indicateur de l’Unité Spéciale de Lutte Antiterroriste de la Securitate de Sorin Roşca Stănescu – membre de l’organisme soumis à l’investigation et, le même temps, directeur du journal Ziua – ont été faites publier en 1992 par l’ancien chef du Service Roumain d’Informations, Virgil Măgureanu, collaboration reconnue par lui-même. Même si le Service Roumain d’Informations a refusé de mettre à la disposition du Conseil le dossier de Sorin Roşca Stănescu, la preuve de sa collaboration avec la Securitate était sans doute, et l’organisme de direction du Conseil devait procéder en conséquence. Étant donné que les dossiers des anciens collaborateurs de la brigade antiterroriste sont classifiés comme strictement secrets, procédant de cette manière le Collège a montré qu’il est préoccupé plutôt à ce que le les services secrets appellent la « sûreté nationale » qu’au dévoilement de la Securitate.
Tous ces exemples montrent qu’il y a de doutes sérieux sur l’analyse et sur les communiqués du Collège du Conseil.
Face aux critiques publiques et conscients qu’ils peuvent être remplacés par le pouvoir, les membres du Collège ont finalement rédigé une liste avec des officiers de la Securitate extraits des dossiers déjà consultés, qu’il appréciait comme impliqués dans des activités « de police politique », et, le 12 avril 2002, l’a envoyé au Service Roumain d’Informations pour obtenir « les donnés d’identification, les noms de conspiration et les fonctions détenues y compris, par des officiers et les sous-officiers de la securitate ». D’abord, le principal service secret interne a refusé de répondre à cette demande qui est conforme à la loi. Par contre, la Commission Parlementaire pour le Contrôle du Service Roumain d’Informations a sommé le Collège de lui envoyer les critères établis pour l’appréciation de l’activité de « police politique » des employés de la Securitate. De plus, le 10 juin 2002, la Commission a envoyé une adresse au Collège, où lui disait que « Le CNEAS n’a pas la compétence de consacrer légalement la définition ou les activités circonscrites aux actes de police politique ». Le texte contenait d’autres arguments ahurissants, comme le fait que les employés des structures informatives actuelles ont été déjà vérifiés, quant à leur participation aux « abus » et aux actions contre les droits de l’homme, par les services elles-mêmes. Enfin, c’était aussi une menace de prison pour les membres du Collège, si ceux-ci osaient faire publier la liste sans recevoir au préalable des donnés du Service[64]. De plus, pour dépasser les limites de l’absurde, la Commission a essayé de faire signer par la direction du Conseil un prétendu protocole de collaboration qui proposait que « l’activité de collecte des informations par l’officier de la Securitate soie assimilée aux articles nos 10 et 29 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme » qui stipule le droit inaliénable de la personne humaine de chercher, recevoir et disséminer l’information[65]. Traduisons cette pensée institutionnelle d’une commission du Législatif de la Roumanie – dominé par le PSD –, pays qui aspire entrer dans les structures politiques euro-atlantiques : pendant leurs actions de police idéologique – tortures, persécutions, crimes et répressions – les employés de la Securitate ne fessaient qu’exercer leurs droits inaliénables de personnes humaines. Évidement, contre les torturés, les persécutés, les tués et les réprimés eux-mêmes.
Après les prises de position et les demandes indiqués plus haut, le 3 juillet 2002 la majorité des membres du Collège a accepté rencontrer la Commission, ce qui est équivalent avec la subordination politique envers le parti de gouvernement, politique que la Commission ne fait que mettre en pratique. D’ailleurs, cette subordination a été stipulée dans un protocole de collaboration[66]. La conséquence a été qu’aucune liste avec les travailleurs de la Securitate impliqués dans des activités de police politique n’a été publiée.
Concernant l’accès au dossier personnel, ceux qui ont bénéficié de leur droit ont témoigné que des pièces importantes manquent de leurs dossiers. Étant donné que les exemples sont trop nombreux, nous n’allons citer que trois, parmi les plus flagrants. D’abord, Vasile Paraschiv, ancien dissident, a reçu un volume qui compte une centaine de feuilles. Le dossier qu’il a vu ne contient pas la rétractation qu’il a été obligé, par des méthodes terroristes, de donner à la Securitate en 1987. Ensuite, Constantin (Ticu) Dumitrescu, président de l’Association des Anciens Détenus Politiques, affirme que dans son dossier manquent, curieusement, tous les documents concernant ses amis les plus proches[67]. C’est-à-dire, exactement les informations sur la cible des mesures de la Securitate : l’« entourage » de la personne filée du point de vue informatif et soumise aux actions de la police politique. Mais il y a des situations encore plus flagrantes. Dan Petrescu, écrivain qui a protesté dans les années ’80 contre Ceausescu et son régime, a reçu de la part du Collège la réponse qu’il n’a pas de dossier de filature. Interpellé à travers le Collège, le Service Roumain d’Information a refusé aussi de préciser si son dossier a été détruit[68]. Les exemples montrent qu’il s’agit d’une politique délibérée du Service Roumain d’Informations, un des gestionnaires abusifs des dossiers de la Securitate, qui ou a remis des dossiers personnels soigneusement sélectionnés en préalable, ou a refusé d’en fournir d’autres. Cette politique appelée « de sûreté nationale » vise, d’une part, la conspiration des officiers de la Securitate, toujours actifs, qui ont porté atteinte aux droits des persécutés politiques, et, d’autre part, de maintenir ouvertes les dossiers d’anciens opposants du régime communiste gênants pour l’actuel pouvoir. C’est la raison de la sélection illégale de certains documents et/ou du refus de livraison d’autres dossiers.
Nous avons vu que l’accès au dossier personnel a été toujours difficile. Mais à partir du mois de janvier 2002 le Conseil exige – contrairement aux prévisions légales – des documents supplémentaires aux demandes d’accès : des CV détaillés et des copies authentifiées d’après le carnet de travail. Quand il invoque, à son tour, une demande de la part Service Roumain d’Informations, il participe ainsi à la tentative du Service de blocage de l’application de la loi[70].
Conclusion
Mesurée d’après les prévisions de la loi, l’activité du Collège du Conseil National pour l’Étude des Archives de la Securitate est marquée par beaucoup de violations de sa loi d’organisation et par d’autres illégalités qui, maintes fois, ont nui aux droits des citoyens. Plusieurs institutions indépendantes ont réclamé le manque de transparence de l’institution et ses défaut de fonctionnement. Un rapport de l’Association pour la Défense des Droits de l’Homme-le Comité Helsinki indique l’institution parmi celles qui refusent de répondre aux sollicitations légales, en vertu de sa loi de fonctionnement et de la Loi d’Informations Publiques. A son tour, la Société Académique de Roumanie affirme que : « le CNEAS a servi à la protection des secrets du Service Roumain d’Informations plutôt que, „en vertu de son rôle”, de contribuer à la transparence du SRI. »[71]
Une simple comparaison quantitative des ressources accordées par le budget de l’État avec les résultats concrets de son activité, lui est défavorable.
Conformément aux données fournies par Constantin (Ticu) Dumitrescu – l’initiateur de la loi, données obtenues du Service Roumain d’Informations en 1993, en tant que président de la Commission du Sénat pour l’Investigation des Abus – au principal service secret interne existaient alors 1 901 530 dossiers de la Securitate, repartis sur quatre fonds : « Informatif », « Réseau », « Documentation » et « Correspondance », dont : 1 162 418 dossiers « de filature informative », individuelles ou « de problème » (de groupe), 507 003 dossiers « de réseau » (d’indicateurs), 154 911 « serviettes annexes » aux dossiers des indicateurs, qui contiennent les notes informatives des indicateurs en original, 29 281 dossiers de documentation et 47 917 dossiers de correspondance. Dumitrescu affirme que dans les chiffres communiqués ne sont pas inclus les « sources membres du Parti » (les indicateurs membres du Parti), environ 100 000 d’après ses informations, et que, entre décembre 1989 et mars 1990, 78 227 dossiers ont été détruits, ces derniers dossiers ne figurant non plus dans l’adresse envoyée, le 15 septembre 1993, par le Service Roumain d’Informations[72].
Il faut préciser que la statistique fournie par le Service Roumain d’Information est le résultat d’un inventaire complet des unités territoriales et de 60 % des archives centrales. La précision est très importante, parce que tout rapport à ces données suppose qu’on ne connaît pas le contenu de 40 % des archives centrales, les plus riches d’ailleurs, et qu’elle se limite aux archives de la Securitate qui se trouvent en gestion du Service Roumain d’Informations, tout en sachant que les autres structures informatives nées ou réorganisées après 1989 détiennent aussi une bonne partie des archives de la Securitate. De plus, cette statistique ne prend pas en compte deux fonds entiers, le fond « Cadres », qui contient les dossiers des officiers et des sous-officiers de la Securitate et/ou du Service Roumain d’Informations, et le fond « Pénal », qui contient les dossiers d’enquêtes politiques rédigées par la Securitate.
De cette immense quantité de dossiers – seules les archives de la Securitate qui se trouve au Service Roumain d’Informations compte environ 16 Km linéaires –, conformément à son rapport d’activité pendant la période le 13 mars 2000-le 31 mai 2002, le Conseil est entré en possession de 3 652 dossiers – ce qui représente 7 020 volumes, donc approximativement 100 m linéaires[73].
Les services secrets et les institutions de l’État roumain sont pleins d’officiers de la Securitate. Toute la hiérarchie des services secrets est composée par des officiers de la Securitate. Voilà quelques exemples concrets : le général Marian Ureche, l’ancien adjoint du chef de la 1ère Direction de la Securitate, qui s’occupait de la répression de la contestation interne, est le chef du service secret du Ministère de la Justice, appelé, avec une formule qui n’a absolument rien à voir avec son activité, Service Indépendant de Protection et de Lutte contre la Corruption ; le général Tudor Tănase, le chef du Service de Télécommunications Spéciales, a fait partie de la Brigade d’Espionnage Industriel et des Vols Technologiques (SD), cordonnée par le général Ion Mihaï Pacepa, jusqu’au passage de ce-dernier aux américains en 1978 ; le général Vasile Iancu, le premier adjoint du directeur du Service Roumain d’Informations, a fait de l’espionnage en Occident, puis a été le chef des Départements Culture-Art, Éducation et Sport de la 1ère Direction de la Securitate ; Aurel Rogojeanu, conseiller du chef du Service Roumain d’Informations, a été le chef de cabinet du dernier chef de la Securitate, Iulian Vlad ; Vasile Angelescu, le chef de cabinet du président Ion Iliescu, a été officier supérieur dans l’espionnage communiste et, après 1989, premier adjoint du chef du Service d’Informations de l’Extérieur ; le général Constantin (Bebe) Tănăsescu, jusqu’à sa morte, survenue en janvier 2003, conseiller du président Ion Iliescu, a été, dans les années ’80, le chef de la résidence d’espionnage aux États-Unis ; Constantin Nicolescu, sénateur du PSD, le président de la Commission Parlementaire pour le Contrôle du Service d’Informations de l’Extérieur, qui a remplacé Ristea Priboï, a été lui aussi officier couvert de l’espionnage communiste ; les généraux Mihaï Caraman et Constantin Silinescu sont les conseillers du Premier ministre Adrian Năstase, dont le premier était le chef d’un réseau qui a porté des préjudices très importants au système de défense de l’OTAN[74] et le second était chef de direction dans l’espionnage communiste ; le général Victor Marcu, l’adjoint du ministre de la Privatisation et, ultérieurement, le conseiller du directeur de l’Agence gouvernementale responsable avec les grandes privatisations, était chef de secteur responsable avec les « mesures actives » contre les opposants anticommunistes roumains de l’Exil.
Les anciens membres et les structures de la Securitate bénéficient de la protection du parti de gouvernement et du Président. En mai 2002, Ion Iliescu a affirmé clairement que le Service Roumain d’Informations devrait trier – évidement, d’une manière unilatérale – les dossiers de la Securitate avant leur rémission au Conseil. A son tour, son conseiller pour la sécurité nationale, Ioan Talpeş (pendant la période 1992-1997 chef du Service d’Informations de l’Extérieur) estimait que cette opération durerait encore deux ans. Les déclarations faites à l’occasion du symposium roumaino-allemando-hongrois, Assumer le passé au carrefour ? de mai 2002, montrent clairement la politique des officiels roumains envers l’héritage communiste : la conspiration des gens et des structures de la Securitate et de l’ancienne nomenklatura[75].
Tous ce que nous avons dit plus haut risquerait d’entretenir le mystère, si nous n’essayons pas répondre directement à la question pourquoi les membres du Collège se sont comportés d’une manière si évidement illégale, vu qu’ils avaient la chance de faire fonctionner une institution entièrement nouvelle, ce qui est très rare en Roumanie. Et s’ils l’ont manqué, le fait est du seulement à leur manque de respect pour la loi en général, et pour la loi d’organisation de leur institution, en particulier, et de fermeté dans les relations avec les institutions de l’État. Ils ne peuvent pas clamer leur échec et s’en justifier, tant qu’ils se sont montrés incapables d’utiliser toutes les moyennes légales dont ils disposent pour faire fonctionner leur institution. Mais en dehors de leur manque d’engagement légal et étique, et de leur culture institutionnelle, leurs minces connaissances sur le régime communiste et en matière de dossiers de la Securitate ont joué, certainement, un rôle important.
En se soumettant à la politique menée par les services secrets, par le gouvernement et par la Commission pour le contrôle du SRI, le Collège a compromis irrémédiablement le statut d’indépendance que la loi accordait au Conseil, en arrivant à le transformer en une institution de conspiration des anciens agents et collaborateurs de la Securitate impliqués dans des activités spécifiques à la police politique, bref, des anciennes structures de la police politique communiste. C’est à ce niveau que se situent les conséquences les plus négatives de son activité. Car, sa manière d’appliquer la loi a empêché la société roumaine à assumer son héritage communiste et à s’en détacher d’une manière décisive, au lieu d’y contribuer.
Paris, le 10 avril 2002
Bucarest, le 18 octobre 2002
NOTES
[1] L’équivalent roumain de l’Institution du Délégué Fédéral pour les Actes du Service de Sûreté de l’État (Stasi).
[2] Pour une présentation des antécédents de la loi et pour une analyse de l’activité du Conseil pendant sa première année de fonctionnement, voir aussi Gabriel Andreescu, Legea 187/1999 şi primul an de activitate a Consiliului Naţional pentru Studierea Arhivelor Securităţii (La loi no 187/1999 et la première année d’activité du Conseil National pour l’étude des Archives de la Securitate), dans « Drepturile Omului », revue éditée par l’Association pour la Défense des Droits de l’Homme-le Comité Helsinki, no 20, 2001, pp. 37-53.
[3] Le Parti National Paysan, le Parti National Libéral et le Parti Social Démocrate.
[4] Il s’agit du Décret-loi no 118/1990, qui accorde aux victimes une indemnité symbolique pour chaque année passée en prison ou en relégation (le soi-disant « domicile obligatoire »).
[5] Voir, par exemple : Scrisori întredeschise (Lettres entrouvertes), Oradea, Editions Biblioteca Revistei «Familia», 1995, passim ; Jurnale (Journaux), III volumes, Bucarest, Editions Nemira, 1997, passim ; Alte jurnale (Autres journaux), Cluj, Editions Dacia, 1998, passim ; Jurnal de apocrif... (1998) (Journal d’apocryphe... (1998) ), Cluj, Editions Dacia, 1999, passim ; Scrisuri (Ecrits), Bucarest, Editions Nemira, 1999, passim.
[6] Voir le quotidien Ziua du 21 novembre 1998.
[7] Cf. Gabriel Andreescu, Legea 187/1999 şi primul an de activitate a Consiliului Naţional pentru Studierea Arhivelor Securităţii (La loi no 187/1999 et la première année d’activité du Conseil National pour l’étude des Archives de la Securitate), dans « Drepturile Omului », revue éditée par l’Association pour la Défense des Droits de l’Homme-le Comité Helsinki, no 20, 2001, pp. 37-53.
[8] Voir le quotidien Evenimentul Zilei du 22 novembre 2000.
[9] Voir le Rapport de Constantin (Ticu) Dumitrescu, publié dans Ziua, le 15, le 18 et le 21 janvier 2002.
[10] La coalition au pouvoir était formée par la Convention Démocratique, alliance de plusieurs partis dont son axe principal était le Parti National Paysan Chrétien Démocrate, dirigé par Ion Diaconescu, le Parti National Libéral, dirigé par Mircea Ionescu-Quintus, le Parti Démocrate, dirigé par Petre Roman et l’Union Démocrate des Magyars de Roumanie, dirigée par Marko Bellá. L’opposition était formée par le Parti de la Démocratie Sociale de Roumanie, dirigé par Ion Iliescu, le Parti la Grande Roumanie, dirigé par Corneliu Vadim Tudor et le Parti de l’Unité Nationale des Roumains, dirigé par Valeriu Tabără.
[11] Evenimentul Zilei, le 15 septembre 2000.
[12] Voir le « Moniteur Officiel », 1ère Partie, no 603 du 9 décembre 1999, pp. 1-5. La loi a subi quelques rectifications de style publiées dans le « Moniteur Officiel », 1ère Partie, no 619 du 17 décembre 1999, p. 2.
[13] Voir le Décret no 221 pour la constitution et l’organisation de la Direction Générale de la Sécurité du Peuple, publié dans le « Moniteur Officiel » no 200 du 30 août 1948, pp. 7245-7246.
[14] Voir la Conférence de presse de G. Andreescu tenue au Groupe pour le Dialogue Social, le 20 février 2001.
[15] Voir Helmut Müller-Engbergs, Agenţii, informatorii şi spionii STASI în Republica Federală Germania (Agents, indicateurs et espions de la STASI dans la République Fédérale Allemande), Fondation Académie Civique, Bucarest, 1999.
[16] Voir Gheorghe Onişoru, Alianţe şi confruntări între partidele politice 1944-1947 (Alliances et confrontations ente les partis politiques 1944-1947), Bucarest, Fondation Académie Civique, 1996.
[17] Voir aussi la page Web du Conseil : www.cnsas.ro
[18] Voir le quotidien România Liberă, le 1er septembre 2001.
[19] Pour l’exposition de ces techniques, voir Archive du Service Roumain d’Informations, Fond « Documentation », Instructions No D – 00190/1987, concernant l’organisation et le déroulement de l’activité informative et d’opérations des organes de la Securitate, 17 p., document malheureusement inaccessible.
[20] Evenimentul Zilei, le 4 décembre 2000.
[21] Voir le « Moniteur Officiel », 1ère Partie, no 244 du 2 juin 2000, pp. 1-6.
[22] Pour d’autres exemples voir G. Andreescu, op. cit., pp. 44-45.
[23] Evenimentul Zilei, le 3 juin 2000.
[24] Evenimentul Zilei, le 18 juillet 2000.
[25] Evenimentul Zilei, le 15 juin et le 29 juillet 2000.
[26] România Liberă, le 20 octobre 2001.
[27] Evenimentul Zilei, le 8 novembre 2001.
[28] Evenimentul Zilei, le 24 novembre 2000.
[29] Evenimentul Zilei, le 25 avril 2001.
[30] Ziua, le 23 novembre 2000.
[31] Il s’agit de l’émission « Marius Tucă Show » sur Antena 1, du 13 février 2001.
[32] Voir Paul Goma, Chassé-croisé, Paris, Hachette, 1983 ; Monica Lovinescu, Unde scurte (Ondes courtes), Bucarest, Editions Humanitas, 1990-1995, vol. IV et V, passim ; Ion Mihaï Pacepa, Horizons rouges, Paris, Presses de la Cité, 1988, passim et Cartea neagră a Securităţii (Le livre noir de la Securitate), vol. I-III, Bucarest, Editions Omega SRL, 1999, passim.
[33] Voir Marius Oprea, Banalitatea răului. O istorie a Securităţii în documente 1949-1989 (La banalité du mal. Une histoire de la Securitate en documents 1949-1989), Iaşi, Editions Polirom, 2002, pp. 388-398.
[34] Evenimentul Zilei, le 9 novembre 2002 et România liberă, le 18 novembre 2002.
[35] Evenimentul Zilei, le 12 février 2001.
[36] Evenimentul Zilei, le 23 mars 2001.
[37] Evenimentul Zilei, le 13 mars 2001.
[38] Evenimentul Zilei, le 11 avril 2001.
[39] Evenimentul Zilei, le 20 et le 25 avril 2001.
[40] Evenimentul Zilei, le 12 août 2000.
[41] Voir les quotidiens Evenimentul Zilei du 15 et le 19 janvier et Libertatea du 22 mars 2001.
[42] Voir l’édition Internet des nouvelles de l’agence de presse Mediafax du 23 mars 2001.
[43] Voir, par exemple, Evenimentul Zilei, le 31 mars 2001.
[44] Intervention au symposium organisé par Goethe Institut Inter Nationes à Bucarest entre le 6 et le 8 juin 2001, Împovăraţi de moştenirea Securităţii şi Stasi. Răspunsuri germane, române şi maghiare la o provocare istorică / Die Erblast von Stasi und Securitate. Eine Debatte mit deutschen, rümänischen und hungarischen Antworten (Chargés par l’héritage de la Securitate et de la Stasi. Réponses allemandes, roumaines et hongroises à une provocation historique), Editions Compania, Bucarest, 2002, pp. 42-43.
[45] Voir dans ce sens le volume Totalitarisme et résistance, terreur et répression en Roumanie communiste, Conseil National pour la Recherche des Archives de la Securitate, Bucarest, 2001, Etudes 1.
[46] Voir Paul Goma, Butelii aruncate în mare, 1998 (Bouteilles jetées dans la mer, 1998), passim, dans le site Web de l’écrivain, http://www.paulgoma.free.fr.
[47] Voir Cartea albă a Securităţii (Le livre blanc de la Securitate), volumes I-V, réalisé par le Service Roumain d’Informations, 1994-1997.
[48] Editions Evenimentul Românesc, Bucarest, 1997.
[49] Editions Albatros, Bucarest, 1999.
[50] Editions Publiferom, Bucarest, 2001.
[51] Editions Humanitas, Bucarest.
[52] Voir l’hebdomadaire 22, la revue du Groupe pour le Dialogue Social, no 35 (651), le 27 août-le 2 septembre 2002.
[53] Evenimentul Zilei, le 11 juin 2002.
[54] Evenimentul Zilei, le 10 juillet 2001.
[55] 22, no 35, le 28 août-le 3 septembre 2001, c’est souligné dans le texte.
[56] Evenimentul Zilei, le 30 mars 2001.
[57] Evenimentul Zilei, le 8 mars 2001.
[58] Evenimentul Zilei, le 2, le 4 et le 7 juillet 2001.
[59] Evenimentul Zilei, le 14 mars et le 10 juillet 2001.
[60] Evenimentul Zilei, le 1er novembre 2001.
[61] Ziua, le 12 avril 2002.
[62] Evenimentul Zilei, le 2 novembre 2001.
[63] Evenimentul Zilei, le 19 janvier 2002.
[64] 22, no 26 (642), le 25 juin-le 1er juillet 2002.
[65] Voir l’entretien de Horia-Roman Patapievici, membre du Collège, publié dans le mensuel Timpul, nos 7-8, juillet-août 2002.
[66] Evenimentul Zilei, le 4 juillet 2002.
[67] Rapport de Constantin (Ticu) Dumitrescu, publié dans Ziua, le 15-le 18 et le 21 janvier 2002.
[68] Voir l’entretien avec Dan Petrescu dans Timpul, nos 7-8, juillet-août 2002.
[69] Evenimentul Zilei, le 23 janvier 2002.
[70] Evenimentul Zilei, le 30 avril 2002.
[71] Early warning report, rapport for UNDP, Country Office Romania, Bucarest, no 6/2001, Société Académique de Roumanie, cité d’après 22, no 1 (617), le 1er-le 7 janvier 2002, pp. 10-11.
[72] Rapport de Constantin (Ticu) Dumitrescu publié dans Ziua, le 15-le 18 et le 21 janvier 2002, et aussi Ziua du 10 janvier 2002.
[73] România liberă, le 18 septembre 2002.
[74] Voir Pierre Accoce et Daniel Pouget, Le réseau Caraman, Paris, Fayard, 1972 ; Thierry Wolton, Le KGB en France, Grasset, 1986, passim. Ion Mihaï Pacepa, Horizons Rouges, Paris, Presses de la Cité, 1988 et Cartea neagră a Securităţii (Le livre noir de la Securitate), vol. I-III, Bucarest, Editions Omega SRL, 1999, passim.
[75] Evenimentul Zilei, le 29 mai 2002.
Inédit.