Prezentul
trecutului recent. Lustrație și decomunizare în postcomunism [Le présent du passé
récent. Lustration et décommunisation au postcommunisme], volume coordonné par Lavinia Stan, préface de
Vladimir Tismaneanu, Bucarest, Éditions Curtea Veche, 2010, 535 pages.
Lavinia Stan est
professeur de sciences politiques au Canada, à l’Université St. Francis Xavier,
et cette édition de son livre représente une version roumaine de l’ouvrage Transitional
Justice in Eastern Europe and the Former Soviet Union, Routledge, 2009.
Antérieurement,
l’auteur a publié Religion and Politics in Post-Communist Romania,
Oxford University Press, 2007 et Church, State and Democracy in Expanding
Europe, Oxford University Press, 2011 (toutes les deux en collaboration
avec son époux, M. Lucian Turcescu), et ultérieurement elle a édité la
monumentale Encyclopedia of Transitional Justice, Cambridge University
Press, 3 volumes, 2013 (en collaboration avec Nadya Nedelsky) et Transitional
Justice in Post-Communist Romania, Cambridge University Press, 2013. En
même temps, l’ouvrage Post-Communist Transitional Justice: Lessons from 25
Years of Experience est à paraître à Cambridge University Press (toujours
avec Nadya Nedelsky). Pour finir avec la présentation de ce palmarès
scientifique impressionnant, nous allons dire que Mme Stan est aussi l’auteur
d’un grand nombre d’études et d’articles sur de différents thèmes de sciences
politiques.
Le livre propose
une comparaison de la situation des anciens pays communistes de l’Europe de
l’Est, prenant comme repère les thèmes de la lustration, de l’accès aux
dossiers de la police politique et des procès intentés aux responsables de la
répression. Modestement appelé « volume coordonné par », le travail
représente, dans une grande mesure, le résultat des recherches de Mme Stan qui
signe, en dehors de l’Introduction et des Conclusions, quatre des huit études
qui le constituent, et qui regardent les cas de la Pologne, de la Hongrie, de
l’ancienne Union soviétique et de la Roumanie. Concernant l’Allemagne, nous y
retrouvons l’étude de Gary Bruce, sur la République Tchèque et la Slovaque
celui écrit par Nadya Nedelsky, sur la Bulgarie par Momcil Metodiev et, enfin,
sur la Slovénie par Tamara Kotar.
Il s’agit d’un
travail du domaine appelé transitional justice, terme anglo-saxon
des sciences politiques qui vise la totalité des mesures prises par un État en
vue de réparer les violations des droits de l’homme perpétrées par le régime
politique antérieur, et qui n’a pas d’équivalent dans l’espace culturel
européen. Concernant les régimes communistes, il pourrait être traduit, grosso
modo, par l’« histoire et la mémoire du communisme », expression qui vise l’ensemble des
mesures de décommunisation. Nous serions donc bien d’accord avec Mme Stan quand
elle utilise, comme équivalent de l’expression anglaise, les notions « assumer
le passe récent », « confrontation avec le
passé » ou « politique
de la mémoire », tout en rejetant
le calque « justice de transition » qui, en roumain, indique un prétendu caractère transitoire du
processus lui-même (p. 39).
Nous n’allons pas
entrer dans la matière proprement dite du livre – dense, tant du point de vue
de la présentation complète des cas, que par la période visée (1989 – la chute
des régimes communistes de l’Europe de l’Est et 2007 – l’entrée de la Roumanie
et de la Bulgarie en Union européenne) – que pour nous arrêter sur le cas
roumain et sur les conclusions tirées par l’auteur à la suite de l’évaluation
de tout ce processus.
Comme nous disions
plus-haut, le chapitre écrit par Mme Stan s’arrête sur : la gamme
répressive de la Securitate, l’épineux problème de la lustration, l’accès aux
dossiers de la Securitate et les procès intentés aux officiels communistes.
L’étude indique les groupes sociaux intéressés dans la rupture avec le passé
totalitaire (les anciens détenus politiques, les propriétaires des biens
confisqués par le régime et autres victimes), en contraste avec l’État,
accaparé en 1989 par « le deuxième échelon non-reformé du parti
communiste » (p. 284), et aussi le clivage entre la génération âgée (qui a
connu la démocratie de l’entre-deux guerres et a souffert la répression et les
confiscations de la fin des années ’40 et du début des années ’50 du dernier
siècle) et les génération d’après, nées et formées dans le socialisme réel.
La décommunisation
en contexte roumain est vue comme l’ensemble des mesures qui visent
l’écartement des membres de l’ancienne nomenklatura du procès de décision
politique, le dévoilement des agents et des collaborateurs de la Securitate, la
condamnation officielle du régime communiste pour ses actions criminelles et la
violation systématique des droits de l’homme, la restitution des propriétés
confisquées, la réhabilitation des victimes des répressions politiques (en
particulier, des anciens détenus politiques) et la condamnation pénale des
responsables du Parti et de la Securitate.
Pour illustrer
l’analyse, nous allons donner quelques exemples.
La caractérisation,
en mars 1997, par le président d’alors Emil Constantinescu, de la lustration
comme « périmée », pour le bon et simple motif que la Convention
démocratique avait gagné le pouvoir politique contre les partis nés du Front du
salut national, est commentée par l’auteur de cette manière : « Cette
position, condamnée vivement par la société civile, a étouffé toute tentative
de légiférer la lustration et elle a affecté la popularité de Constantinescu,
éloignant de lui exactement les segmentes sociaux qui l’avaient soutenu pendant
sa campagne présidentielle. » (p. 255)
Concernant le
manque d’efficacité du Conseil national pour la recherche des archives de la
Securitate (CNSAS), l’auteur indique les facteurs qui l’ont conditionné :
les omissions de sa loi de fonctionnement, les opinions irréconciliables et les
fluctuations des loyautés politiques des membres du Collège de direction, la
faiblesse de la Justice (et même son mépris envers la loi et l’État de droit)
et le manque de volonté politique, tant des représentants du pouvoir, que de
l’opposition, pour conclure : « Au lieu d’être le moyen de
‘ confrontation ’ avec le passe récent, le Conseil est vite devenu un
de ses principaux obstacles. » (p. 263) Enfin, sur le même thème : « La
manière dont le CNSAS a effectué les vérifications de 2000 et 2004 a gravement
compromis son image publique et, en dernière instance, a délégitimé tout
l’effort de dévoilement publique de la Securitate. » (p. 264) Il est à
noter que ces conclusions, qui suivent a une analyse équilibrée, neutre (mais
pas froide), se rejoignent aux prises de positions amères des représentants des
victimes et des militants anticommunistes.
La conclusion de
l’auteur est univoque : « Après presque deux décennies, le pays n’a
pas fait de progrès significatif envers la réévaluation du passé communiste, la
décommunisation étant ralentie et sabotée. » (p. 286) Les explications
pour cet état de choses son liés, d’une part, au contexte du communisme roumain
et, d’autre part, à la dynamique propre au postcommunisme autochtone.
Concernant le premier aspect sont indiqués : les bénéfices associés à la
mobilité sociale des couches sociales traditionnellement défavorisées, à cause
de leur statut antérieurement inimaginable, et le niveau élevé de ralliement à
la politique du régime (à travers le grand nombre de membres du parti et
d’indicateurs de la Securitate), à la différence du nombre des victimes et des
contestataires. Concernant le deuxième aspect sont indiqués : le nombre
réduit des victimes du communisme qui étaient encore en vie en 1990 et la
reproduction (et non pas la reconversion) des élites communistes à travers le
déplacement des responsabilités (qui étaient aussi leurs responsabilités) vers
la personne de Nicolae Ceaucescu.
Enfin, nous allons
résumer les conclusions du livre.
Quant à la
« sérosité et la promptitude » (p. 485) des mesures de
décommunisation, les pays de l’Europe de l’Est et de l’ancienne Union
soviétique sont repartis en quatre grands groupes : 1) l’adoption rapide
de la lustration, de l’accès aux dossiers des organismes répressives et la
poursuite en justice de leurs responsables (l’Allemagne, la République Tchèque
et les Pays Baltes) ; 2) mesures similaires, mais modérées et retardées
(la Hongrie et la Pologne) ; mesures faibles et/ou incomplètes de
décommunisation (la Roumanie et la Bulgarie) ; 4) absence de ces mesures
(la Slovaquie, la Slovénie, l’Albanie et les anciens républiques soviétiques).
Voilà la thèse qui
explique, selon Mme Stan, ces différences : « Sans considérer que le
type de la transition ou la libre circulation et la liberté de la parole soient
manqués d’importance, nous avançon l’idée qu’un déterminant plus fort qui fait
assumer le passé le représente le pouvoir politique relatif des successeurs des
partis communistes et leur opposition. » (pp. 496-497) À ce modèle
d’analyse on subsume trois variables : 1) la composition, la direction
d’action et la force de l’opposition, tant avant qu’après 1989 ; 2) les
méthodes dominantes par lesquelles le régime communiste a soumis la société
(répression et/ou cooptation) ; et 3) la tradition pluraliste du pays
avant l’instauration du communisme. En conclusion, l’auteur identifie trois
facteurs qui, d’une manière cumulative, donnent sens à la décommunisation et,
d’une manière connexe, à l’action d’assumer le passé : 1) l’an où les lois
de la lustration et de l’accès aux dossiers secrets ont été adoptés par les
Corps législatives ; 2) la largeur, l’impact et leurs effets sur les
catégories sociales visées ; 3) le nombre des dossiers judiciaires qui ont
visé l’inculpation des membres de la nomenklatura et de la police politique.
Pour finir ce
tableau suggestif et crédible de la réalité postcommuniste, nous allons
indiquer une observation de Mme Stan, qui dit que « le passé reste
relevant même deux décennies après la chute des régimes communistes » (p.
499), et qui pouvait être instructive pour ceux qui soutiennent l’idée d’une
prétendue « illusion de l’anticommunisme » au postcommunisme roumain.
Un dernier mot sur
la rédaction : des travaux importants, comme celle-ci, doivent bénéficier
d’une attention éditoriale spéciale, tant du point de vue du langage des
sciences sociales, que de la langue roumaine. Ainsi, l’utilisation de certains
barbarismes, qui viennent des calques anglais et qui étaient à éviter par une
rédaction attentive, est irritante. Voilà quelques exemples du premier
registre : « comités de purification »
au lieu de « comités d’épuration »,
« actions retributives
excessives » au lieu de « mesures légales (peines) excessives » ; « Sous la surveillance de la
contre-intelligence » au lieu de
« Sous la surveillance des Contre-informations » ;
« dans le cas des trans-lieux (transplacements) de Pologne et de Tchécoslovaquie, la
démocratie… » au lieu de « en Pologne et Tchécoslovaquie la démocratie a été introduite
(transposée)… » ; « communisme patrimonial » au
lieu de « communisme de clientèle », terme qui évite,
en roumain, les sens (plus étroites) d’« hérité » et
d’« héréditaire ». Voilà maintenant quelques exemples du deuxième
registre : « implémenter » au lieu d’« introduire »,
« appliquer », « mettre en pratique », en fonction de
contexte ; « accesser » au lieu d’« accéder » ;
« rejection » au lieu de « rejet » ou « la première
ministre » au lieu de « Mme le premier ministre ».
Enfin, nous attendons avec le plus grand intérêt l’édition roumaine de
l’ouvrage de Mme Stan sur le même thème qui porte sur la décommunisation
jusqu’en 2013, une parution nécessaire pour les sciences sociales en Roumanie.
Bucarest, le 5
février 2015.
Publié dans « Archives
Review », no 2/2011, pp. 200-203.